dimanche 30 juin 2013

Legend of the Dragon


« Ne fais pas de paris, ne te bats pas », telle est la recommandation que reçoit Chow Siu-lung (Stephen Chow) de son père Chow Fei-hung (Yuen Wah) à son départ de la campagne chinoise pour Hong Kong. Ce départ est consécutif du retour d’une vieille connaissance du père, son ancien camarade de kung-fu, l’oncle Yun (Leung Kar-yan), venu se réfugier en Chine dans le but de se protéger d’un parrain qui réclame le remboursement de sa dette. Mais aussi pour emprunter de l’argent à son Chow Fei-hung. Sans bien entendu avouer la raison de cet emprunt, car l’oncle Yun joue les victimes et, par loyauté, Hung ne peut qu’aider son ami.

On aura remarqué que les personnages de Stephen Chow et Yuen Wah portent respectivement les prénoms de Bruce Lee et du héros de la saga Il était une fois en Chine (le film de Tsui Hark n’était pas encore sorti). Legend of the Dragon rend hommage au héros de La Fureur de vaincre (il faut battre les étrangers) et au médecin chinois (on entend la musique du générique) mais aussi à la légende du Roi singe dans la séquence d’ouverture où Lung et Mo (Teresa Mo), sa condisciple doivent exécuter quelques tours d’art martial pour la télé. Lung fait le mariole en ne portant jamais les coups, en se plaçant avec son sourire niais devant la caméra du reporter (son film où il sourit le plus bêtement et tire le plus la langue – ses gags du début de sa carrière). Mo lui assène un coup de paume qui détruit le décor qui sert à la fête du dragon du village.

Hung en a plus qu’assez des facéties de son fils et accepte de bon cœur de la voir partir à Hong Kong. Mo est plus triste car elle est amoureuse de lui. Le personnage de Teresa Mo, le seul féminin du film, est un peu ingrat, cantonné à l’amoureuse un peu fofolle qui brusque le gentil Lung qui n’a rien compris à ses sentiments. Cette histoire d’amour est une pure convention et n’a aucune originalité. Le comique de Mo vient plutôt de cette brutalité dans les coups qu’elle donne alors que Lung incarne la naïveté avec ses cheveux bien lisses et sa raie sur le côté. Une belle tête de crétin. Il part avec son plus beau costume col Mao et son joli t-shirt local et il ne comprend pas que les hongkongais se moquent de lui. C’est un grand inadapté de la vie, couvé depuis toujours par son père dans le village.

Direction Hong Kong et la grande ville où commence la découverte d’un monde que Lung ne connaissait pas. L’oncle Yun l’amène dans une discothèque. La patronne lui demande quelle est son genre de femme il désire. Il répond qu’il veut une femme pour son foyer. Lung a des comportements d’enfant. Ainsi, quelques que soient le lieu ou la situation, il s’endort à minuit tapante et rien ne peut plus le déranger. Le comique est ici celui du décalage entre la corruption de la grande ville et la simplicité de Lung. Mais Yun a décelé chez lui un talent unique : il est un champion au billard. Il va exploiter le jeune homme pour rembourser sa dette. A lui l’argent des primes, Lung ne recevra que des bonbons et des coupes, ce qui le satisfait amplement d’autant qu’il n’est pas au courant des paris, compte tenu de l’interdiction de son père.

Tout roule pour le duo jusqu’au retour du parrain (Jimmy Lung) et de son bras droit (Sing Fui-on dans son rôle habituel de grosse brute) qui va pimenter cette baraka au billard en faisant jouer Lung contre un pro du billard. Puis, on apprend que Yun a hypothéqué le terrain de son ami Hung, ce qui implique son arrivée avec Mo à Hong Kong. Etonnement, le film ne parodie pas God of gamblers ce qui est plutôt une bonne nouvelle. La partie polar avec l’affrontement des triades est développée sur un mode comique, dû, sans aucun doute, à l’apport de Lee Lik-chi crédité de réalisateur exécutif. Le parrain et ses sbires se ramassent quelques grosses mandales par Lung et sa famille (il peut désormais se battre). Stephen Chow est encore dans son personnage trublion de naïf qui se défend sans en avoir conscience. Il est souvent très drôle.

Legend of the Dragon (龍的傳人, Hong Kong, 1990) Un film de Danny Lee et Lee Lik-chi avec Stephen Chow, Leung Kar-yan, Teresa Mo, Yuen Wah, Lee Hoi-sang, Jimmy Lung, Shing Fui-on,  Jimmy White,  Felix Lok, Ricky Yi , Corey Yuen, Amy Yip.

samedi 29 juin 2013

Le Goût du saké


Directeur d’une entreprise industrielle (on aperçoit régulièrement des cheminées laissant échapper de la fumée) et veuf, Shuhei Hirayama (Chishu Ryu) vit avec sa fille Michiko (Shima Iwashita), 24 ans, et son fils Kazuo (Shinichiro Mikami), la vingtaine. Il passe son temps entre le travail et les bars où ils retrouvent ses vieux amis Kawai (Nobuo Nakamura) et Horie (Ryuji Kita) où ils boivent beaucoup de saké. Ils décident d’organiser une rencontre amicale avec leur ancien professeur, Monsieur Sakuma (Eijiro Tono). Ils ne l’ont pas revu depuis une bonne trentaine d’années. Le vieil homme, tout heureux de revoir ses anciens élèves, profite de la soirée au restaurant pour se goinfrer et boire beaucoup de saké.

Trop saoul pour rentrer seul, Kawai le raccompagne et découvre qu’il vit avec sa fille, restée toute sa vie célibataire. Sakuma culpabilise de n’avoir jamais laissé sa fille se marier. Hirayama va lui apporter un peu d’argent, car l’ancien professeur est entre temps devenu un marchand de nouilles sans le sou. Hirayama rencontre lui aussi la fille de Sakuma, qu’elle a grondé, comme s’il était un enfant, pour son ivresse. C’est à ce moment-là qu’il comprend qu’il est grand temps qu’il laisse Michiko partir du foyer. Sa secrétaire, du même âge que sa fille, lui annonce qu’elle va quitter l’entreprise pour se marier. Il faut se faire à son époque.

Le passé continue de rattraper Hirayama. Outre ses vieux amis d’enfance Kawai et Horie, son ancien professeur, il rencontre par hasard Sakamoto (Daisuke Katô), qui fut, pendant la guerre, marin sous son ordre. Le moment est amusant, ils chantent ensemble un air de cette époque, ils boivent beaucoup de saké. De retour chez lui, Michiko l’accueille bien sèchement, navrée de voir son père saoul. Il est temps pour elle de quitter le foyer mais elle n’ose pas encore le dire. Quant au petit frère qui veut se faire servir le repas, il ne sait faire aucune tache ménagère et sa sœur lui annonce qu’il devra bientôt se débrouiller seul.

L’avenir est le mariage de Michiko. Son grand frère Koichi (Keiji Sada) est lui marié avec Akiko (Mariko Okada). Le couple a un peu de mal à boucler les fins de mois. Régulièrement, le père leur donne un peu d’argent. Lui voudrait pouvoir s’acheter des clubs de golf, vivre bourgeoisement comme son père mais Akiko l’en empêche. C’est elle qui gouverne au foyer. Par manque d’argent, ils n’envisagent pas encore d’avoir d’enfants. Informé du désir de Michiko de se marier, il apprend qu’elle est amoureuse d’un de ses collègues, hélas, déjà fiancé. Elle devra se contenter du jeune homme (que l’on ne verra jamais) choisi par son père. Et le petit frère annonce qu’il est, lui aussi, amoureux d’une jeune femme.

Le Goût du saké, dernier film de Yasujiro Ozu, prend en compte les changements de société et surtout l’influence importante de la culture américaine sur les Japonais. Le bar s’appelle le « Torys », on joue au golf, le whisky remplace le saké, Kazuo répond « Yes ». Plus largement, les mœurs changent, la jeunesse décide désormais pour elle-même et ne veut plus vivre avec les parents. Les hommes sont montrés comme des êtres pleins de faiblesse (alcooliques, paresseux, dépensiers). Ce changement de société est inéluctable, comme Yasujiro Ozu le montrait encore plus fortement dans Bonjour. Seul le style du cinéaste reste égal à lui-même ne filmant que les moments du quotidien en plan fixe, comparant les actes des personnages pour élaborer sa vision de la société.

Le Goût du saké (秋刀魚の味, Japon, 1962) Un film de Yasujiro Ozu avec Chishu Ryu, Shima Iwashita, Shinichiro Mikami, Keiji Sada, Nobuo Nakamura, Teruo Yoshida, Norio Maki, Eijiro Tono, Ryuji Kita, Kyoko Kishida, Mariko Okada, Kuniko Miyake, Michiyo Tamaki, Haruko Sugimura, Daisuke Katô.

vendredi 28 juin 2013

Sorties à Hong Kong (juin 2013) Badges of fury


Badges of fury (不二神探, Hong Kong – Chine, 2013) 
Un film de Wang Zhiming avec Jet Li, Wen Zhang, Liu Shi-shi, Michelle Chen, Liu Yan, Wu Jing, Leung Kar-yan, Tong Da-wei, Michael Tse, Stephy Tang, Huang Xiao-ming, Kevin Cheng, Raymond Lam, Alex Fong Lik-sun, Ma Yi-li, Feng Dan-ying. 98 minutes. Classé Catégorie IIA. Sortie à Hong Kong : 28 juin 2013.

mercredi 26 juin 2013

Bonjour


Je crois que chez Yasujiro Ozu, ce sont ses films avec des mômes que je préfère, Gosses de Tokyo, Récit d’un propriétaire et ce Bonjour, films en couleurs pétaradantes et comédie située dans un petit quartier où tous les voisins se connaissent. La meilleure méthode pour faire connaitre tous les habitants est de les montrer sous leur moins bon jour. En l’occurrence, les petites disputes consécutives à la disparition des cotisations de l’association locale. La présidente affirme n’avoir jamais reçu l’argent de la trésorière qui affirme l’avoir remis depuis plusieurs jours. Les cancans fleurissent sur l’achat d’un lave-linge par la présidente (« mais avec quel argent »), puis plus tard sur la rancune de la trésorière, une fois l’affaire résolue (« il ne faut rien lui emprunter »). Car, c’était la vieille maman qui avait oublié de remettre les cotisations à sa présidente de fille.

Ce qui étonne d’abord dans Bonjour, c’est sa construction en micro récits, celui narré juste avant dure à peine quinze minutes. Une des ces petites histoires concernent également un prof d’anglais qui est amoureux d’une jeune femme, la sœur de M. Hayashi. Une autre montre l’un des voisins au chômage. Mais cela permet de montrer au cinéaste que la société à changé. D’un côté, les mœurs et les codes sociaux sont restés les mêmes pour une partie des Japonais : on s’habille traditionnellement, on est proches des voisins à qui on emprunte une bière ou un ticket de bus, on se dit gentiment bonjour tous les matins. De l’autre côté, la nouvelle génération étouffe dans ce quartier où les cancans sont légion, où la discrétion est rare. Un jeune couple tout juste installé, sans enfants, est critiqué pour s’habiller le soir non seulement à l’occidental mais aussi en peignoir. Comble de la modernité, ces jeunes mariés ont la télévision, contrairement à tous les autres voisins.

Les deux fils de la famille Hayashi raffolent de la télé. En douce, prétextant aller prendre des leçons d’anglais chez un voisin, ils vont avec leur trois camarades d’école regarder la télé chez ce couple. Leur passion est le sumo. Leur jeune tante, qui passe souvent chez eux, leur dit que c’est tout aussi passionnant à la radio. Mais non, ils n’en démordent pas, ils veulent voir les combats à la télé. Et ils vont demander à leur mère (Kuniko Miyake), non sans affront, une télévision. Le père (Chishu Ryu), strict et sévère, y est très opposé. Le fils aîné répond au père avec virulence puis traite sa mère de radine. Le petit frère, qui fait tout comme son grand frère (ils portent d’ailleurs des vêtements identiques), n’est pas non plus en reste. L’aîné affirme que toutes les paroles que disent les adultes ne sont que des mensonges ou des phrases toutes faites et vides de sens. Le père leur demande de se taire.

La grève de la parole commence donc pour les deux enfants. Les parents sont d’abord ravis. Puis, quand, en partant à l’école, ils ne disent pas bonjour à la voisine, cette dernière croit que c’est parce qu’elle a accusé la mère d’avoir volé l’argent des cotisations. Ensuite, pour les deux mômes, l’épreuve du silence à l’école s’avère plus complexe : ne pas répondre au professeur est un signe grave de rébellion. Enfin, comment demander aux parents l’argent de la cantine sans parler. Les scènes sont souvent drôles, les deux gamins – surtout la plus petit – ont des bonnes bouilles et leurs déplacements dans le cadre et leurs gestes sont proches du burlesque. Ainsi, avant qu’ils ne se taisent, le plus jeune sort régulièrement un « I love you », sonore et fier. L’humour est constant dans tout le film notamment avec le ton ironique adopté pour montrer les mesquineries et les cancans des voisines.

Là, la difficulté de communiquer ajoutée au changement de mode de vie est mise en avant. Le film montre que les enfants ont leur propre rituel (les gags récurrents sur les pets des gamins qui leur permet de s’inclure dans leur bande, le signe de doigts pour faire une pause et parler) qui s’oppose au rituel des phrases de politesse des parents. Il est plutôt amusant qu’un cinéaste comme Yasujiro Ozu prennent comme sujet de son film ces phrases simples et creuses (« bonjour, merci, comment ça va, au revoir »), lui qui s’est constamment appliqué à faire de ce genre de sentences le tronc principal des dialogues de la plupart de ses films. Comme s’il était lui-même conscient des critiques qui ont pu lui être fait à ce propos. C’est précisément cette ironie qui rend le film si joyeux.

Bonjour (お早う, Japon, 1959) Un film de Yasujiro Ozu avec Chishu Ryu, Keiji Sata, Koji Tsuruta, Kuniko Miyake, Yoshiko Kuga.

mardi 25 juin 2013

RIP Liu Chia-liang


On a appris aujourd’hui la mort de Liu Chia-liang (ou Lau Kar-leung) à l’âge de 77 ans. Reconnaissable à son grain de beauté planté au milieu du front, Liu Chia-liang a chorégraphié les combats d’arts martiaux de plus de 160 films, a joué dans près de 200 films et en a réalisé 25. Pilier de la Shaw Brothers à la grande époque, il est surtout connu pour sa trilogie des 36ème chambre de Shaolin où son frère adoptif Gordon Liu tenait le premier rôle, pour ses mises en scène des combats d’une autre trilogie, celle du sabreur manchot de Chang Cheh. Je reviendrai sur ces films en juillet.
La force des films qu’il a réalisés est de mettre le kung-fu au service d’une authenticité, paradoxe puisque le cinéma Shaw Brothers est le summum du factice. Cela passait notamment par des nombreux plans larges permettant de voir la scène dans son entier, y compris la chute sur le sol des adversaires, et qui fait de Sammo Hung son héritier direct et unique. Liu Chai-liang prenait également soin de montrer avec précision le maniement des différents, rendant certains de ses films un aspect « catalogue » pas toujours très digeste. Les 18 armes légendaires du kung-fu en est l’exemple le plus frappant. La plupart des films réalisés par Liu Chia-liang sont disponibles dans de bonnes éditions DVD chez Wild Side.
Après la fin de la Shaw Brothers au début des années 1980 suite au changement radical de la production du film d’arts martiaux (Bruce Lee d'abord puis Jackie Chan et Sammo Hung avaient totalement réinventé le genre et étaient devenues des stars), Liu Chia-liang a sombré dans le cinéma commercial. Il a tenu son dernier rôle dans Seven swords en 2005.

dimanche 23 juin 2013

Adrift in Tokyo



Les cheveux ébouriffés, une barbe de trois jours, la clope au bec, Fumiya (Jô Odagiri) est un étudiant qui préfère glander qu’aller étudier le droit. Il reçoit un jour la visite d’un recouvreur de dettes qui vient réclamer 800000 yens. Orphelin et sans amis, il ne connait personne qui pourrait lui permettre de rembourser sa dette. Il lui laisse trois jours pour trouver l’argent mais le jeune homme continue de glander. Quand Fukuhara (Tomokazu Miura) revient chercher son pognon, il fait une étrange proposition à Fumiya : contre un million de yens, il doit l’accompagner au poste de police. Il veut avouer avoir tué sa femme et veut se rendre à la justice. Seulement voilà, le trajet jusqu’au commissariat ce fera à pied et va durer plusieurs jours. Adrift in Tokyo se lance et la longue promenade des deux hommes dans Tokyo démarre.

Ce qui amuse d’abord dans ce duo bigarré est l’allure de Fumiya et de Fukuhara. Ce dernier a troqué ses chaussures de ville pour des baskets blanches toute neuves qui jurent avec son long manteau et son petit sac en bandoulière. Et surtout cette coupe de cheveux en mulet rend son personnage parfaitement ridicule tout en établissant la crédibilité de son statut de créancier. Fumiya, quant à lui, arbore un pantalon trop court pour lui qui lui donne un air d’éternel adolescent et une vilaine chemise rouge vif. La nuit, il porte un pyjama trop grand pour lui et qui contraste avec son âge. L’un des premiers plaisirs du film est ce duo qui fonctionne parfaitement, chaque acteur donnant à l’autre la réplique sans chercher à se voler la vedette. Et pendant ce temps, les collègues de l’épouse assassinée se demandent pourquoi elle n’est pas venue au travail et décident d’aller chez elle.

La promenade est superbement nonchalante, allant au rythme de la marche à pieds et permet, au fil des rues, de découvrir la ville et de rencontrer des gens. Ici, une vieille copine de Fumiya qui va se déguiser pour une soirée Cosplay, là, une connaissance de Fukuhara au visage triste qui peint des tableaux sur la bataille du pacifique, plus loin un guitar man excentrique, un vendeur de futon très en colère et régulièrement, ils croisent la route de l’acteur Ittoku Kishibe dans son propre rôle. Le film aurait pu être décousu avec cette forme en sketchs mais le cinéaste parvient, au contraire, à lier son récit. Chaque saynète permet de mieux connaitre les deux protagonistes qui révèlent leur personnalité et de balayer les clichés, de connaitre leur passé avec de très courts flashbacks et d’entrer en empathie avec eux. Ils s’arrêtent régulièrement pour manger un bout ou dormir, moments idéaux pour discuter

Cette dérive dans Tokyo fait parfois penser à certains films de Nagisa Oshima (Journal d’un voleur de Shinjuku par exemple) avec cette idée que la ville n’appartient plus qu’à Fumiya et Fukuhara, que plus rien d’autre que cette promenade ne compte et qu’elle pourrait durer encore et encore. Mais la fin arrive et avec elle, le commissariat. Les deux hommes commencent à s’apprécier, à former une entente père fils qui va s’épanouir avec la longue halte chez une amie de Fukuhara. Makiko (Kyôko Koizumi), qui ignore tout du dessein du voyage, va les accueillir chez elle et jouer à la maman pour Fumiya et à l’épouse pour Fukuhara devant Fufumu (Yuriko Yoshitaka), sa jeune nièce immature qu’elle héberge. Cette longue séquence où une famille se crée de toutes pièces est tout à la fois pleine de surprises, drôle et terriblement triste. La balade de Adrift in Tokyo procure une émotion revigorante et un plaisir constant.

Adrift in Tokyo (転々, Japon, 2007) Un film de Satochi Miki avec Jô Odagiri, Tomokazu Miura, Tomokazu Miura, Kyôko Koizumi, Yuriko Yoshitaka, Kumiko Asô, Eri Fuse, Kami Hiraiwa.

Le DVD de Adrift in Tokyo sort le 25 juin 2013 chez Spectrum Films.

samedi 22 juin 2013

Love is love


Stephen Chow a aujourd’hui 51 ans (bon anniversaire), l’occasion de causer tranquillement d’un film de ses débuts. Dans Love is love, il incarne Shui, orphelin recueilli dix ans auparavant par Shing (Shing Fui-on), restaurateur au bord de la mer. Mal payé et exploité, Shui n’a jamais osé demander la moindre augmentation et s’il reste l’employé de cet homme rude, c’est parce qu’il est amoureux de Tai (Sandra Ng), la fille de son patron. Après une énième engueulade avec son patron, les deux amoureux partent en cachette pour vivre leur amour au grand jour, abandonnant le père mais aussi Pumpkin (Pauline Kwan), la petite sœur de Tai. A eux une nouvelle vie, direction Hong Kong.

Comme il leur est difficile de se nourrir d’amour et d’eau fraiche, il faut d’abord trouver un logement. Celui trouvé sur une petite annonce est plutôt grand mais le propriétaire (Wu Fung) leur déclare qu’ils devront cohabiter avec Mabel (Angelina Lo), la voisine vulgaire et colérique qui exerce le métier d’entraineuse de bar. La rencontre avec cette voisine encombrante ne se fait pas sous les meilleurs hospices. Ensuite, il leur faudra trouver un boulot pour manger et payer le loyer. Mais pour Shui, c’est surtout le moyen de prouver à son beau-père (qui ne sait pas encore qu’ils se sont mariés) qu’il n’est pas le minable que l’on dit.

D’un côté, Shui cherche n’importe quel boulot et va atterrir dans une entreprise où son supérieur hiérarchique (Dennis Chan) lui fait faire le sale boulot de la comptabilité (des tonnes de factures à imputer avec une pauvre calculette) et l’humilie devant tout le monde. Il va avoir le soutien de Szu-szu (Suki Kwan), la fille du patron qui va le prendre sous son aile. De son côté, Tai demande de l’aide à Mabel qui lui propose un boulot dans le bar où elle travaille. Elle devra accompagner des vieux messieurs. Elle ne va rien dire à son mari et, comme de bien entendu, un quiproquo va révéler son activité. Tai va dîner dans un restaurant avec Shui. Elle voit en face un de ses clients qui attend justement Szu-szu.

Les mensonges vont commencer et avec eux l’éloignement des deux amoureux. Ils ont fait croire que Tai est la sœur de Shui. Conséquences : Szu-szu pense que Shui est célibataire et Tai se fait draguer par tous ses collègues. Leur mode de vie augmente (ils passent du petit appartement à un autre luxueux) mais ils s’éloignent l’un de l’autre. Le mensonge les ronge petit à petit. Love is love, gentille comédie romantique où la romance est plus forte que la comédie (on n’y rit assez peu et surtout sur des gags visuels et non de situation) montre surtout que Stephen Chow et Sandra Ng n’avaient pas encore trouvé les personnages hauts en couleur qui ont fait d’eux les incarnations de la comédie cantonaise des années 1990. Leur duo fonctionne correctement mais pas encore à plein régime, pour cela il faudra attendre le foutraque All’s well end’s well en 1992.

Love is love (望夫成龍, Hong Kong, 1990) Un film de Tommy Leung avec Stephen Chow, Sandra Ng, Shing Fui-on, Suki Kwan, Pauline Kwan, Wu Fung, Angelina Lo, Michael Wong, Tan Lap-man, Lo Hung, Peter Lai, Dennis Chan.

mercredi 19 juin 2013

People mountain people sea


A peine sorti de prison, le trentenaire Xiao Qiang tue de deux coups de couteau un chauffeur de taxi moto en pleine montagne. Lao Tie (Chen Jianbin), le frère de la victime est informé par le policier de son village de la mort de son frère. Les indices sont maigres mais on retrouve la trace de Xiao Qiang. Lao Tie va voir la vieille mère du meurtrier qu’elle traite de lâche pour avoir disparu. Rongé par la vengeance, il va demander conseil à son frère charlatan qui lui conseille de suivre son destin. Il quitte, à moto, son village de montagne, sa femme et son petit troupeau de chèvres ; direction une grande ville portuaire où on dit que Xiao se trouve.

Le périple de Lao Tie le mène chez un de ses anciens amis, héroïnomane, qui l’arnaquera avec un complice déguisé en flic. Puis, il retrouve une femme qui s’avère être une de ses anciennes femmes et avec laquelle il a eu un fils. L’homme reste évasif sur ses intentions, taciturne, il se contente de parcourir la ville à la recherche d’indices pour trouver Xiao Qiang. Ce qui frappe plus que cette quête de vengeance est l’extrême pauvreté des quartiers visités. Les maisons sont faites de bric et de broc, les murs sont en bois, des journaux ou des affiches publicitaires servent de tapisserie, la promiscuité est constante, les enfants mangent dans les escaliers, un homme bat sa femme. People mountain people sea montre un environnement de prolétaires qui vivent dans la violence du quotidien.

Lao Tie décide de se faire vengeance lui-même parce qu’il ne croit plus en la justice de son pays. Une scène en début de film le montre contraint d’accepter une forte compensation plutôt que la prison. Chaque mois, le plaignant vient réclamer, avec quelques insultes, son dû. Là, il prend le cochon gras qui devait servir à nourrir sa famille. Loin d’accuser frontalement la justice chinoise, le cinéaste procède par petites touches, donnant très peu d’informations sur les personnes qu’il rencontre et les lieux qu’il traverse. L’absence de dialogues entre Lao Tie et les autres placent ses actions dans une sorte d’énigme. Plutôt que des dialogues, ce sont des monologues que les autres personnages adressent à Lao Tie, souvent des reproches.

La dernière séquence de People mountain people sea est d’une beauté aussi sidérante que sa violence est crue. Après avoir échoué à retrouver Xiao Qiang dans la ville portuaire, Lao Tie apprend que le meurtrier se trouverait dans une mine illégale au nord de sa province. La description de ce lieu tenu comme un camp de prisonniers, avec gardes armés et un dortoir commun fermé à clé la nuit, rappelle Le Fossé de Wang Bing, mais avec plus de précision et de désespoir encore. Toute cette séquence se fait sans dialogue, sans qu’on n’en perde aucun enjeu. Mais, surtout, on tremble devant l’horreur qu’ils vivent tout en s’interrogeant sur la réussite du dessein de Lao Tie. Si le film met un peu de temps à démarrer, il ne cesse de maintenir une tension d’une redoutable efficacité.

People mountain people sea (人山人海, Chine – Hong Kong, 2011) Un film de Cai Shangjun avec Bao Zhenjiang, Chen Jianbin, Tao Hong, Wu Xiubo.

lundi 17 juin 2013

Le Fils unique


Douze ans après avoir laissé son fils Ryosuke partir à Tokyo pour entrer au collège, sa mère, madame Tsuno Nonomyia (Chôko Iida) quitte son petit village pour lui rendre enfin visite. Elle avait accepté qu’il parte s’instruire plutôt qu’il commence à travailler comme elle à l’usine ou aux champs. Veuve, cette mère travaille dans une usine de vers à soie. Le boulot est difficile, elle défait les fils des cocons dans la chaleur avec les roues bruyantes qui filent sans discontinuer derrière elle. Le Fils unique commence sur la métaphore du cocon : la mère doit-elle laisser son fils s’épanouir ou au contraire le garder avec elle pour avoir une vie décente. Sur les conseils d’un voisin qui tente sa chance à Tokyo, elle le laisse partir.

Arrivée à la Tokyo, Tsuno s’émerveille de la taille de la ville. Dans le taxi, Rysouke (Shinichi Himori), tout sourire, lui présente Tokyo, ses ponts, ses immeubles si différents du village. Le trajet est un peu long puisqu’il habite dans une lointaine banlieue où il n’y a même pas de train (rare film d’Ozu sans train). Tsuno apprend que son fils est marié et qu’il a un fils. Elle qui allait voit son fils pour l’inciter à trouver une épouse, c’est une surprise de poids pour elle. Chaque jour, il va emmener sa mère visiter un peu de Tokyo, voir un film allemand où elle s’endormira ou manger des plats dignes d’une invitée. On ne dérode pas au protocole. Les sourires fusent, les discussions sont courtoises, la famille est réunie.

Derrière les sourires de façade, Ryosuke doit trouver de l’argent. Contrairement à son souhait, il n’a pas réussi à Tokyo. Il donne des cours du soir à des étudiants mais va quémander un peu d’argent à ses collègues, pas toujours heureux de devoir l’aider. Son épouse va chercher des aliments chez son père restaurateur. Bientôt, la visite de la mère va se transformer en véritable parcours du combattant pour Ryosuke. L’argent, sujet unique du film, venant à manquer, les règles de la bienséance, telles qu’elles avaient court alors, vont éclater. Le sourire du fils va disparaitre de son visage mais le plus difficile pour lui sera de reconnaitre qu’il n’a pas réussi et de le dire à sa mère.

Premier film parlant de Yasujiro Ozu, Le Fils unique est d’une grande tristesse. Ses personnages apparaissent tous défaits par la société. Le fils est pauvre et sa fierté de père s’en trouve détruite. La visite chez l’ancien voisin parti à Tokyo montre un homme qui a abandonné tout goût pour la vie, obligé de vendre des côtelettes pour subvenir aux besoins de sa famille. Quant à la mère, elle avoue avoir vendu sa maison pour permettre à son fils de faire des études. La longue séquence finale où Ryosuke retrouve sa fierté, après avoir aidé sa voisine encore plus dans le besoin que lui, semble une pure convenance scénaristique pour garantir l’adhésion du personnage du fils auprès du public. Ozu veut terminer son film sur une note positive qui, paradoxalement, contredit la force de l'ensemble.

Le Fils unique (一人息子, Japon, 1936) Un film de Yasujiro Ozu avec Chôko Iida, Shinichi Himori, Masao Hayama, Yoshiko Tsubouchi, Mitsuko Yoshikawa, Chishū Ryū, Tomoko Naniwa.

vendredi 14 juin 2013

Gosses de Tokyo


Les deux jeunes héros de Gosses de Tokyo aiment beaucoup l’école. Ils aiment y aller, ils aiment en revenir, c’est entre les deux qu’ils aiment moins, disent-ils sérieusement à leurs parents amusés. Le père vient d’emménager dans un pavillon de banlieue et habite désormais dans le même quartier que son patron. La mère prépare aux deux frères leur bento pour le repas du midi. Direction l’école mais ils rechignent quand ils font face à une bande de sept écoliers avec lesquels ils s’étaient déjà disputés. Les deux gamins décident de faire l’école buissonnière mais, pour pas se faire gronder par les parents, notent eux-mêmes leur devoir de calligraphie. Le père l’apprend par l’instituteur et leur fait la morale : pour être important, il faut aller à l’école.

Etre important est donc le sens de la vie dans ce Japon de 1932. Les règles sont les mêmes pour les écoliers comme pour les employés. Yasujiro Ozu compare le travail à l’école et le boulot des salarymen. Avec quelques travellings latéraux, il passe d’un lieu à un autre montrant des attitudes similaires et de la lassitude à respecter ces règles intangibles apprises depuis toujours. Par exemple, tous font de la gym, les enfants obéissent comme des soldats. On découvre que le patron a filmé ses employés en train de faire des exercices mais aussi le père en train de faire des grimaces. Cela navre les deux enfants qui en concluent que leur père n’est pas un homme important : il amuse la galerie mais pas du tout ces deux fils. Cela les chagrine d’autant plus que le fils du patron est l’un de leur camarade de classe et qu’il est dans le gang ennemi.

Le film est clairement divisé en deux parties. La première montre les enfants vivre dans la confrontation avec leurs sept autres camarades : bagarres, menaces, peur, rejet. En dehors de l’école, ils ont leur propre code (un doigt pointé, tu meurs, une paume en avant, tu revis) qui établit la hiérarchie et que les parents ne peuvent pas comprendre. Galvanisé par leur père, les deux frères vont évincer le chef de bande et prendre le pouvoir. Mais déçu par la position sociale de leur père, ils vont décider d’imposer leur règle au foyer et d’affronter leur père, notamment avec une grève de l’obéissance. Cette deuxième partie montre avec mélancolie, mais également beaucoup d’humour, le dur apprentissage des règles sociales. La scène finale de Gosses de Tokyo est tout en tendresse où tous les enfants deviennent amis. Mais on sent que le cinéaste n’est pas dupe de cette entente soudaine et forcée.

Gosses de Tokyo (大人の見る絵本 生れてはみたけれど, Japon, 1932) Un film de Yasujiro Ozu avec Tatsuo Saitō, Tomio Aoki, Hideo Sugawara, Tokkan Kozō, Mitsuko Yoshikawa.

jeudi 13 juin 2013

Sorties à Hong Kong (juin 2013) So young


So young (致我們終將逝去的青春, Chine, 2013)
Un film de Vicki Zhao avec Mark Chao, Han Geng, Yang Zi-shan, Jiang Shu-ying, Tong Liya, Zhang Yao, Bao Beier, Wang Jia-jia, Huang Ming, Zheng Kai, Liu Ya-se. 131 minutes. Classé Catégorie IIA. Sortie à Hong Kong : 13 juin 2013.

mercredi 12 juin 2013

Sorties à Hong Kong (juin 2013) Switch


Switch (天機.富春山居圖, Hong Kong – Chine, 2013)
Un film de Francis Brown avec Andy Lau, Zhang Jing-chu, Tong Da-wei, Lin Chi-ling, Vanessa Wang, Zeng Linshu, Luo Wenbo, Wang Ruizi, Li Wanyi, Cherry Wang, Lin Xiya, Shi Tianqi, Zou Na, Baha Guli, Tan Songyun, Tian Tong. 113 minutes. Classé Catégorie IIB. Sortie à Hong Kong : 12 juin 2013.

mardi 11 juin 2013

Voyage à Tokyo


Tourné en 1953 et sorti en France le 8 février 1978, Voyage à Tokyo est le plus connu des films de Yasujiro Ozu, peut-être tout simplement parce qu’il est le premier à avoir eu une large diffusion. Ce voyage, c’est un couple de personnes âgées qui l’entreprend. Le père (Chishū Ryū) et la mère (Chieko Higashiyama) préparent minutieusement leur bagage pour partir à Tokyo rendre visite à leurs enfants. Le voyage sera long, ils arrivent dans la capitale fatigués d’autant que le fils Koichi (Sō Yamamura), allé les chercher à la gare, habite en banlieue. Tout cela, ce sont les dialogues qui l’apprennent, une ellipse est faite sur le voyage et la fatigue. Les deux parents sont âgés, se déplacent lentement, les cheveux sont gris mais ils sont heureux de faire ce voyage.

L’accueil est courtois mais peu enthousiaste. C’est d’abord chez Koichi que les deux parents se rendent. Il est médecin et doit annuler la sortie à la campagne prévue au grand dam de ses deux fils. La mère ira avec le plus jeune se promener à côté tandis que le plus grand ira bouder. Il est d’autant moins content que ses grands parents doivent dormir dans sa chambre. Les petits-enfants ne sont pas aussi polis que les enfants. Ils disent ce qu’ils pensent. Ils vont vite quitter le récit et laisser les deux générations se confronter dans l’espace exiguë de leur maison. La courtoisie est également abandonnée par les parents. Le soir, seuls dans leur chambre, ils constatent que le fils n’a pas une aussi belle carrière de médecin qu’ils le croyaient.

La sœur Shige (Haruko Sugimura) n’est guère mieux. Coiffeuse, elle ne veut pas perdre des clients pour s’occuper de ses parents. Comme ni elle ni son frère ne peut et ne veut les emmener visiter Tokyo, elle convainc Noriko (Stesuko Hara), la veuve de guerre et donc sa belle-sœur de faire sortir les parents. Noriko prend sur son travail une journée, mais Shige pense que ce n’est pas grave puisqu’elle n’est qu’employée et qu’elle n’a pas d’enfants. Noriko n’avait pas ses beaux parents depuis plusieurs années, et ils se rendent compte qu’elle possède un plus grand sens filial que leurs propres enfants. Ainsi quand ils décideront de rentrer plus tôt que prévu du séjour au bord de la mer offert par Shige et Koichi, la mère ira dormir chez sa bru plutôt que chez ses enfants tandis que le père ruminera dans l’alcool sa rancœur contre ses enfants.

Ce Voyage à Tokyo devait rapprocher les membres de la famille, il va les diviser inexorablement et atomiser la cellule familiale. Contrairement à ce qu’on peut souvent lire sur le film concernant la simplicité du scénario, de nouveaux personnages se greffent au récit tout au long du film. Kyoko (Kyoko Kagawa) n’est pas immédiatement identifiée comme leur fille et peut d’abord apparaitre comme la bonne des parents. Elle est institutrice. Shiro (Shirô Osaka) est un autre frère qui débarque au milieu du film. Et encore la belle famille, la voisine curieuse, la voisine serviable, chacun apporte non pas un coup de théâtre, un retournement de situation, mais vient préciser la place des deux parents au sein de la famille, vient ajouter une touche au portrait de cette famille typiquement japonaise où les souvenirs, les regrets et les déceptions sont les plus forts.

Cette impression de récit simple vient également du traitement des séquences de Yasujiro Ozu. Dans les affrontements entre les personnages, certains interprètes disent leur dialogue de dos, le cinéaste choisit ainsi les visages, et don les réactions faciales, qu’il souhaite montrer au spectateur. Les moments creux (repas, politesse entre les personnages) sont sur le même ton que les moments de tension (colère rentrée, reproches, décisions). Ce ton monocorde passe pour de la monotonie et parfois crée un certain ennui chez le spectateur. Cette lenteur est typique du cinéma d’Ozu qui prend le temps de raconter un court voyage de personnes âgées à leur rythme. Le montage est pourtant très rapide, les plans sont souvent courts, y compris lors des discussions entre les personnages, accentuant l’idée de peintre impressionniste dessinant par touche la famille.

Voyage à Tokyo (東京物語, Japon, 1953) Un film de Yasujiro Ozu avec Chishū Ryū, Chieko Higashiyama, Setsuko Hara, Haruko Sugimura, Sō Yamamura, Kuniko Miyake, Kyōko Kagawa, Eijirô Tôno, Nobuo Nakamura, Shirô Osaka.

dimanche 9 juin 2013

Casino


Interviewé par la télévision, Giant Wan (Simon Yam) raconte son parcours de parrain des triades de Macao. Il s’adresse directement au spectateur, regard caméra, créant ainsi une proximité et une confiance. La journaliste semble avoir tiré le bon client avec cet homme souriant, bon vivant et joueur impénitent. Avec son pote Liu (Alex Fong Chung-sun), Wan passe son temps dans les tripots à essayer de gagner aux cartes dans les casinos, à défier les arnaqueurs de rue en misant sur la bonne carte et à ne pas croiser la route de l’incorruptible inspecteur To (Kent Cheng) qui sermonne tous ceux qui viendraient mettre le trouble dans sa juridiction. Et de temps en temps, il chante en boîte de nuit la chanson des Il était une fois en Chine, très belle scène. Casino se déroule en 1991, huit ans avant la rétrocession de Macao à la Chine. La différence entre Hong Kong et Macao, ce sont donc ces casinos qui sont autorisés et le portugais qui remplace l’anglais.

Comme dans tout film de triades qui se respecte, les affrontements entre les clans constituent le socle du récit. Ici, en l’occurrence, Lo Ping (Frankie Ng) qui aimerait s’accaparer le marché de Wan. Le film montre les manigances de Lo Ping dans sa lutte du pouvoir, les combats entre clans avec coups brutaux et sang qui gicle (d’où l’une des raisons du classement Catégorie III) et les habituels scories sur les valeurs des membres des triades. Lo Ping est à l’opposé de Wan, c’est un homme très sympathique, charismatique et sain qui ne boit pas d’alcool ni ne fume. L’inspecteur To en viendrait presque à faire son éloge. En tout, dit le film, comparé aux autres parrains, Wan est un héros des temps modernes. C’était la mode de valoriser les triades à l’époque ou, plutôt, de fantasmer sur leur mode de vie. Le film nage régulièrement dans les pires clichés sur le milieu. Qui plus est Casino présente sous un mode volontairement plaisant son duo d’acteurs.

C’est justement le duo Simon Yam/Alex Fong Chung-sun qui mène le récit. Si le premier est aujourd’hui, grâce aux films de Johnnie To, très connu, le deuxième reste encore bien inconnu malgré sa centaine de films où il incarne souvent des seconds rôles. L’intérêt majeur de Casino est dans le rapport entre Wan et Liu que l’on peut qualifier de passionnel. Comme dans bon nombre de films de triades, les deux hommes se considèrent comme deux frères et se sont sans aucun doute connus dès l’enfance. Liu, physiquement plus grand que Wan et à la voix bien plus grave, n’a pas le même caractère : fumeur, irascible et volontiers violent, il représente cependant l’archétype de l’homme de main qui n’hésite à donner du coup de poing pour son patron quand un adversaire les menace ou les arnaque. Leur réussite et leur amitié sont représentées par un jeton de casino, le premier gagné par Liu, à la valeur sentimentale. Symboliquement, les deux hommes sont les deux faces d’une même pièce.

Mais Liu est plus qu’un homme de main, le film laisse transparaitre une relation de couple, quasi amoureuse entre les deux hommes. Au beau milieu du film, on apprend que Wan est marié et sa femme va bientôt accoucher. Mais Wan semble n’en avoir rien à foutre et quand elle va à la maternité, il ne s’intéresse ni à elle ni au bébé. Passée cette scène arrivée comme un cheveu sur la soupe, l’épouse disparait. Rarement deux personnages ne s’intéresseront aussi peu aux femmes que dans Casino. En revanche, Liu tombe subitement malade, du sang coule de son nez, là Wan prend soin de lui, va le voir à l’hôpital, l’aide à se rétablir et passe tout son temps avec lui. Si l’on ajoute à cela des regards langoureux filmés au ralenti entre les deux hommes, des caresses sur le visage de Liu de la part de Wan dans la scène finale, on peut considérer que le vrai couple d’amoureux est bien Wan et Liu. C’était peut-être cela le véritable sujet de l’interview de la journaliste, prétexte à ce double portrait.

Casino (濠江風雲, Hong Kong, 1998) Un film de Billy Tang avec Simon Yam, Alex Fong Chung-sun, Kent Cheng, Kenix Kwok, Frankie Ng, Moses Chan, Michael Lam, Raven Choi, John Ching, Ada Choi, Michael Chan, Ben Ng, Teresa Ha, Tommy Law, Ng Ting-yip.

vendredi 7 juin 2013

Downtown torpedoes


De Zürich à la Hongrie en passant par Hong Kong, les héros de Downtown torpedoes voyagent aux quatre coins du monde tout comme le faisait la troupe de Ethan Hunt dans Mission impossible (celui de Brian De Palma), référence manifeste du film de Teddy Chan. La goutte de sueur, perle d’angoisse, symbole ultime du suspense en cette année 1996, dégouline sur le front de Cash (Jordan Chan) en mission à haut risque avec son comparse Chacal (Takeshi Kaneshiro). Les deux hommes travaillent dans le secret en usant de toutes les technologies possibles, donc à cette époque les débuts des téléphones portables, de l’Internet et du traçage par satellite. Tandis que Cash est derrière un ordi en train de pirater le système d’alarme d’une entreprise, Chacal escalade les murs pour s’emparer de documents : la tête et les jambes, le cerveau et l’action. La scène d’ouverture se veut comme un étalage du savoir-faire des deux personnages principaux et n’a pas d’influence sur le reste du récit.

Leurs exploits ne passent pas inaperçus et ils sont « invités » par Stanley Wong (Alex Fong Chung-sun), chef des services secrets à participer à une nouvelle mission où ils devront récupérer un logiciel qui permet de contrefaire de l’argent (la grande préoccupation du moment). Dans l’entrepôt où Stanley les a obligés à venir, ils rencontrent leurs deux nouveaux camarades de jeu : Sam (Charlie Young) et Titan (Ken Wong), qui a la mauvaise habitude de boire pour se calmer. Après avoir découvert leurs compétences respectives, Cash, en tant que chef de bande, va contacter une de ses vieilles amies, Phénix (Theresa Lee), experte en ordinateur et en piratage de la NASA, qui a la particularité d’être muette. C’est parti pour une aventure avec de nombreux termes techniques, des gros plans sur des fils électriques, cartes mémoires et écrans d’ordinateur où les gadgets sont nombreux (les lunettes caméra).

Downtown torpedoes gomme volontairement ses éléments les plus typiques du cinéma cantonais (les triades, les combats d’arts martiaux, les rapports avec la famille, la loyauté, la ville est presque absente des décors) au profit d’un récit plus axé sur la chasse au trésor (les faux monnayeurs) sans se soucier des effets du réel sur l’action. Comme le faisait De Palma, les héros ne vivent que pour l’action, n’ont pas de vie sociale, ni de famille et encore moins d’appartement. Les personnages vivent en vase clos, et c’est tout juste si le film s’autorise une romance entre Sam et Chacal mais c’est pour mieux accentuer un nouveau retournement de situation. Ainsi, comme dans Mission impossible, les héros sont manipulés, ce qui apparaissait à l’écran s’avérait un simulacre, la mort de Stanley est fausse, Sam n’est pas si claire que cela et Titan plus fiable que prévu. Le film comprend de trop nombreux twists scénaristiques et les dialogues sont parfois un peu longs ce qui rend le film à la fois distrayant mais un peu superficiel.

Downtwon torpedoes (偷諜, Hong Kong, 1997) Un film de Teddy Chan avec Jordan Chan, Takeshi Kaneshiro, Charlie Young, Ken Wong, Theresa Lee, Alex Fong Chung-sun.

mercredi 5 juin 2013

Shokuzai, celles qui voulaient oublier


Les trois épisodes qui composent Shokuzai, celles qui voulaient oublier sont consacrés respectivement à Akiko (Sakuro Ando) et  Yuka (Chizuru Ikewaki). Akiko est l’amie d’Emili qui était allée prévenir Asako (Kyôko Koizumi) de la mort de sa fille. Quinze ans après, elle est internée et raconte sa vie à Asako venue lui rendre visite. Akiko avait taché sa belle robe le jour du drame et depuis elle ne porte que des vêtements ternes. Elle retrouve son grand frère Koji, marié à une femme mère d’une petite fille. Au contact de cette dernière, Akiko s’ouvre à la vie mais elle soupçonne son frère d’être pédophile. Ce chapitre est l’un des meilleurs des cinq, le personnage d’Akiko est un monstre énigmatique, montrant combien la scène primitive de la mort d’Emili a tué toutes les fillettes, au moins au sens figuré

Quant à Yuka, c’est elle qui est allée prévenir la police de l’assassinat d’Emili. Elle vit avec sa mère qui préfère s’occuper de Mayu (Ayumi Itô), sa grande sœur malade, plutôt que d’écouter Yuka et de la consoler du drame. De là nait une jalousie maladive qui va la pousser, quinze ans plus tard, à s’immiscer dans le couple de Mayu et de coucher avec Keita (Tomoharu Hasegawa), son beau frère. La bataille entre les deux sœurs est intense, Yuka lui fait payer le manque d’affection maternel mais cela révèle aussi une passion pour les policiers, Keita exerçant cette profession, passion malsaine proche de la pédophilie à l’envers. Mais le récit va changer quand elle pense reconnaitre la voix de l’assassin d’Emili. Jusqu’alors, elle avait refusé de répondre à Asako, estimant que la promesse faite quinze ans plus tôt ne la concernait plus. Elle se résout à l’appeler.

Ce sont les rapports avec les mères que traite ici Kiyoshi Kurosawa. Celle d’Akiko est très possessive, elle traite sa fille, même quand elle est adulte, comme une gamine, lui indiquant les tenues qu’elle doit porter, décidant tout pour elle. Yuka, quant à elle, a toujours détesté sa mère, monstre d’égoïsme et sans amour. Ce sont aussi les parents d’élèves qui se confrontent avec Maki, l’enseignante du deuxième chapitre, tous versatiles. Mais fondamentalement, c’est Asako qui devient leur mère de substitution. Les quatre enfants de Shokuzai doivent leurs vies d’adultes à cette femme vêtue de noir, impitoyable et fantomatique, qui en quinze ans ne semble pas avoir vieillie. Mais elle est aussi responsable de leurs vies funestes et de leurs dérèglements sociaux.

Logiquement, la troisième partie (et donc cinquième chapitre) de Shokuzai, celles qui voulaient oublier est la plus longue et se consacre à l’aboutissement de l’enquête d’Asako. Je me garderai bien de révéler quoi que ce soit du dénouement du film qui s’avère riche en rebondissements, en secrets intimes et en rancœurs si longtemps gardées. On peut cependant regretter de deviner toujours à l’avance chaque révélation. On peut également trouver dommage que chacun des coups de théâtre soit répétés à plusieurs interlocuteurs qu’Asako a en face d’elle. Cela dit, Shokuzai est totalement hors norme à la fois dans sa narration en chapitres (les quatre enfants ne se rencontrent jamais une fois adultes) et dans son style extrêmement théâtral (les personnages débitent les dialogues les bras ballants) mais encore et toujours indolent.

Shokuzai, celles qui voulaient oublier (贖罪, Japon, 2012) Un film de Kiyoshi Kurosawa avec Kyôko Koizumi, Hazuki Kimura, Yû Aoi, Mirai Moriyama, Eiko Koike, Kenji Mizuhashi, Sakura Andô, Chizuru Ikewaki, Ayumi Itô, Tomoharu Hasegawa, Teruyuki Kagawa.

lundi 3 juin 2013

Gigolo and whore


Jeune chinoise tout juste débarquée de sa campagne à Hong Kong, Hung (Carina Lau) est timide, prude et naïve. Elle veut retrouver sa cousine Kiki (Angile Leung), venue elle aussi des années auparavant pour se faire héberger et elle se rend compte qu'elle est devenue une « animatrice de bar ». Elle met un peu de temps à comprendre ce que ça veut dire d'autant que cela heurte son éducation continentale. Le spectateur a vite compris car ce film s'appelle Gigolo and whore et en l'occurrence, le gigolo est Sam (Simon Yam), l'homme le plus demandé à Hong Kong, comme le dit un homme en début de film. Sam se joint à Kiki dans le bar et c'est là qu'il rencontre Hung et qu'il va la prendre sous son aile.

Hung s'étonne de tout : qu'un verre de vin coûte si cher, qu'on puisse parler de sexe si franchement, qu'on ait pu lui voler ses valises qu'elle avait laissées dehors. Mais aussi découvre les belles technologies du moment, c'est à dire de 1991, le caméscope ou le CD. Elle finit par comprendre que Sam vend son corps pour de l'argent. La scène est d’ailleurs plutôt amusante, comme toute la première moitié du film, puisque Hung, par maladresse, a allumé le caméscope et voit Sam en train de coucher avec une femme. Sam espère que Hung pourra trouver du boulot dans le bar où il bosse mais là encore la terrible maladresse dont elle fait preuve ne lui permet pas de faire simple barmaid. Une idée jaillit alors, Hung, en attendant de trouver un vrai boulot, va faire l’escort girl quelques temps. Hung lui affirme que cela est dangereux, qu’une fois ce boulot commencé, il est difficile d’en sortir.

La transformation de Hung peut commencer : la gentille pucelle va devenir une superbe bimbo. D’abord son look. Sam, en expert de la gent féminine, va lui choisir sa robe, ses chaussures et, bien entendu, son soutien-gorge devant la vendeuse médusée de son habileté à les ouvrir d’un simple contact de son doigt. Puis, direction salon de coiffure et maquillages. Il continue par des exercices de souplesse car ça peut servir. Viennent les cours de cantonais. Ensuite, Sam lui apprend à simuler l’orgasme et à imiter les petits couinements de plaisir. Tout cela est sur le mode de la comédie légère et parodie les enseignements des maitres d’arts martiaux à son disciple. Mais la plus importante recommandation est de ne jamais tomber amoureuse de son client. La référence à Pretty woman est non seulement évidente mais littéralement citée dans les dialogues.

Malgré son titre bien racoleur et son classement en Catégorie III, Gigolo and whore est une comédie romantique bien sage. Peu de scènes érotiques pour égayer les yeux. Comme on s’en doute un peu, Sam va tomber amoureux de Hung, et réciproquement. Tout cela va se compliquer avec une mission que Hung accepte. Elle est engagée pour distraire Dickson Lee (Alex Fong Shung-sun), jeune millionnaire éploré depuis que sa femme est décédée. Elle va se prendre d’affection pour Dickson qui tombe amoureux d’elle. Le film fait semblant de se demander qui elle va choisir entre le gigolo et le millionnaire. Ce sont essentiellement les trois acteurs principaux, Simon Yam, Carina Lau et Alex Fong Chung-sun, sans oublier Angile Leung en pimbêche rigolote, qui font passer cette comédie romantique plus sucrée qu’acidulée.

Gigolo and whore (雞鴨戀, Hong Kong, 1991) Un film de Terry Tong avec Simon Yam, Carina Lau, Alex Fong Chung-sun, Angile Leung, Yiu Chi-wan.

samedi 1 juin 2013

Iron angels


Quand des vilains japonais tuent les membres les plus performants d’Interpol, qui appelle-t-on ? Les Iron Angels, une bande de mercenaires qui, tels l’Agence tous risques, vont aller faire la guerre à ces horribles trafiquants de cocaïne qui inonde toute l’Asie. Dans cette association de justiciers dirigée par le milliardaire John Keung (David Chaing) est composée de Moon (Moon Lee), gentille secrétaire dévouée, d’Elaine (Elaine Lui) bimbo amoureuse de tous les hommes et de Saijo (Saijo Hideki), professeur de karaté qui va venir du Japon. Pour donner un aspect légal à cette mission de l’Association des Anges, Interpol envoie un policier américain, Fong (Alex Fong Chung-sun), qui aura bien du mal à se faire accepter par l’équipe, mais au début seulement, car ensuite son expertise sera reconnue.

Face aux anges, l’ennemi est des plus retors. Cet ennemi est une femme, Yeung (Oshima Yukari) dirige l’entreprise Dai Nippon d’une main de fer. Elle n’hésite pas à abattre son patron d’une balle dans la tête, à trancher la main d’un collaborateur qui est en désaccord avec elle et, comme dit plus haut, à assassiner les policiers qui peuvent mettre à mal son odieux trafic de drogues. Le sadisme de Yeung sera de chaque scène, l’actrice l’accentue par un regard très dur et une tenue noire et stricte. Dans une cave, elle fait fouetter jusqu’au sang des policiers tenus en otage pendant qu’elle prend une collation. Son prochain méfait sera de voler un grand stock d’or. Pour avoir des renseignements, Fong se fera faire capturer par Yeung et, sous la torture de cette méchante femme, parviendra à lui faire dire ce qu’il va se passer.

Iron angels (qui aura deux suites) accuse le coup d’une production chaotique avec pas moins de quatre réalisateurs au générique. Le récit est particulièrement incohérent dans son montage, chaque séquence semble collée à la suivante de manière hasardeuse. Les indices donnés aux « gentils » sont trop évidents et absurdes pour être crédibles. Les décors sont d’une grande pauvreté (c’est quoi cette cave qui sert de repère à Yeung ?). L’humour est balourd et consiste surtout à faire d’Elaine une nymphomane. Seule la scène finale de combat vaut le détour où les trois femmes se battent avec une violence inouïe. D’ailleurs, la violence est si omniprésente dans tout le film (ces gunfights qui n’en finissent pas avec 15 hommes armés de mitraillette qui abattent quatre pauvres flics pendant cinq minutes – j’exagère à peine) que tout parait franchement ridicule.

Iron angels (天使行動, Hong Kong, 1987) Un film de Teresa Woo, Tony Leung Siu-hung, Ivan Lai et Raymond Leung avec David Chiang, Saijo Hideki, Moon Lee, Elaine Lui, Oshima Yukari, Alex Fong Chung-sun, Hwang Jang-lee, Peter Yang.