lundi 29 avril 2013

Bounce ko GALS


Parmi toutes les spécificités de la sexualité, il existe une perversion typiquement japonaise : l’amour pour les jeunes lycéennes. Tel est le sujet de Bounce ko GALS (ko GALS étant la prononciation japonaise de call girls et bounce signifiant enthousiaste) où quelques adolescentes passent quelques heures ensemble. Le film de Masato Harada se déroule en une seule journée, commence dans l’après-midi au lycée et se termine le lendemain matin sur un quai de gare. Ce sont d’abord les uniformes que l’on découvre, des jupettes, des chaussettes blanches et les jambes de ces jeunes filles qui ne finissent pas de défiler. Ce seront les seules moments où la peau des actrices est données à voir, le cinéaste ne cherche jamais le racolage, filmant avec beaucoup de bienveillance et de douceur toute cette journée.

Ce sont des calls girls avec le sourire, qui parlent de leur problème d’ados (le lycée, les garçons etc.), et au milieu Jonco (Hitomi Satô) passe donner à ses amies des billets qu’elles ont gagné la veille. Maru (Shin Yazawa) doit passer dans une clinique pour un nouvel avortement. Elle est mineure, elle ne veut pas demander à ses parents. Un pote jouera quelques secondes le mari puis retourne à la lecture de son manga. Maru est accompagnée de Raku (Yasue Satô), dans la salle d’attente, fixent avec un regard provocateur un salary man en train d’attendre son épouse. Elles éclatent de rire à son départ. Elles ne se font pas de soucis sur tout cela, un avortement, c’est une simple formalité. Pendant ce temps, Maru continue à préparer ses prochains rendez-vous avec des clients.

Pendant ce temps, Lisa (Yukiko Okamoto) arrive en train à Tokyo. Elle doit prendre l’avion le lendemain pour New York, elle a un passeport américain et de l’argent pour son séjour. En attendant, elle va se faire un peu d’argent en vendant ses culottes que des clients pourront sentir. La femme qui va acheter ce lot lui affirme que son uniforme lui rapporterait encore plus. Elle rejoint ensuite Raku pour une séance où elles seront filmées en contre-plongée en train de se promener en uniforme, cet AV (adult video) montrera surtout leur dessous. Lisa se fait suivre par un jeune homme, surnommé « Destiny Boy » (Jun Murakami) qui va l’aider quand un gang vient lui voler ses papiers et son argent. Il est surtout persuadé qu’il a trouvé son âme sœur. Il se retrouve à l’hôpital (le gang l’a bien amoché) et va passer le reste de la nuit à retrouver Lisa.

Les ennuis ne font que commencer pour Lisa désormais incapable de prendre son avion. Et pour Maru, ils sont encore plus grave puisqu’un homme, Oshima (Kôji Yakusho) se fait passer pour un client mais il vient menacer la jeune femme, lui demande de travailler pour lui ou de lui verser une compensation financière. Seulement voilà, les filles couchent rarement avec les clients, elles dérobent leur pognon, les assomment et partent en courant en misant que le pervers ne portera pas plainte vu qu’elles sont mineures. C’est Jonco qui décide d’aller voir Oshima pour payer la « dette » de Maru. L’homme, excentrique, tient une boite de nuit. Tous les deux feront un karaoké où ils chanteront l’Internationale en japonais. Son garde du corps est beaucoup moins commode et va poursuivre Jonco à travers la ville pour récupérer l’argent.

Les call girls auront toute la nuit pour résoudre leurs problèmes qui s’accumulent. Les plus importants permettent au film de mettre du suspense dans le récit. Lisa et Jonco, par l’intermédiaire de Raku (qui est fâchée avec Jonco) vont rencontrer des clients plus bizarres les uns que les autres. L’un d’eux passe, par exemple, la séance à raconter son passé de proxénète. Le film donne aussi des moments de comédie loufoque (Destiny Boy et ses amis, certaines jeunes filles excentriques) et de tendresse absolue pour les lycéennes lors de leurs déambulations nocturnes. Bounce ko GALS passe constamment du chaud au froid, réserve de nombreuses surprises scénaristiques, fait rire et frissonner, et il faut encore le préciser, le film n’est absolument pas racoleur, ni vulgaire, ni mièvre.

Bounce ko GALS (バウンス ko GALS, Japon, 1997) Un film de Masato Harada avec Hitomi Satô, Yasue Satô, Yukiko Okamoto, Jun Murakami, Shin Yazawa, Kaori Momoi, Kôji Yakusho.

dimanche 28 avril 2013

Filmographie : Wong Kar-wai


Wong Kar-wai
王家衛

As tears go by (旺角卡門, 1988) Sortie à Hong Kong le 9 juin 1988.
Nos années sauvages (Days of being wild, 阿飛正傳, 1990) Sortie à Hong Kong le 15 décembre 1990.
Les Cendre du temps (Ashes of time, 東邪西毒, 1994) Sortie à Hong Kong le 17 septembre 1994.
Chungking Express (重慶森林, 1994) Sortie à Hong Kong le 14 juillet 1994.
Les Anges déchus (Fallen angels, 墮落天使, 1995) Sortie à Hong Kong le 21 septembre 1995.
Happy together (春光乍洩, 1997) Sortie à Hong Kong le 30 mai 1997.
In the mood for love (花樣年華, 2000) Sortie à Hong Kong le 29 septembre 2000.
2046 (2004) Sortie à Hong Kong le 29 septembre 2004.
Eros (2004) Sortie à Hong Kong le 12 mai 2005.
My blueberry nights (2007) Sortie à Hong Kong le 3 janvier 2008.
The Grandmaster (2013) Sortie à Hong Kong le 10 janvier 2013.

Autres films non réalisés par Wong Kar-wai :
Unforgetable fantasy (小狐仙, 1985) Un film de Frankie Chan. Scénario de Wong Kar-wai. Sortie à Hong Kong le 26 août 1985.
Final victory Final victory (最後勝利, Hong Kong, 1987) Un film de Patrick Tam. Scénario de Wong Kar-wai. Sortie à Hong Kong le 12 mars 1987.
Flaming brothers (江湖龍虎門, Hong Kong, 1987) Un film de Joe Cheung. Scénario de Wong Kar-wai. Sortie à Hong Kong le 30 juillet 1987.
Buenos Aires zero degree (布宜诺斯艾利斯·摄氏零度, 1999) Un film de Kwan Pun-leung et Amos Lee. Documentaire sur Happy together

samedi 27 avril 2013

Unforgettable fantasy


Pour finir ce mois d’avril consacré à Wong Kar-wai à l’occasion de la sortie de The Grandmaster, je reviens rapidement sur ses débuts au cinéma dans les années 1980. Ses tous premiers pas de scénariste, Wong Kar-wai les a fait pour l’acteur producteur réalisateur Frankie Chan. Les deux hommes ont collaboré sur cinq films, dont cet Unforgettable fantasy. Frankie Chan est surtout connu comme compositeur de musique de films : il en a écrit plus de 300 depuis le début des années 1970. C’est tout naturellement qu’il a composé les musiques des premiers films de Wong Kar-wai (Chungking Express, Les Anges déchus et Les Cendres du temps).

Frankie Chan (pseudo à la Jackie Chan) est un homme de taille normale plutôt fin, petite moustache, jambes archées, il représente le middle class de Hong Kong. Ah, détail important : il porte des pulls invraisemblables. La première partie du film se concentre sur Robert (Frankie Chan) qui vit avec son oncle (Stanley Fung), ce dernier faisant la leçon à son neveu qui réplique immédiatement. Puis, on découvre que Robert travaille dans la publicité et qu’il trouve sa nouvelle patronne Cleo (Joyce Ngai) tout à fait à son goût mais que la concurrence est rude face à son collègue (Charlie Cho) qui ne rate pas une occasion pour rabaisser Robert. Mais comme dans tout film comique, c’est le retour à l’envoyeur et le collègue se fait humilier devant tout le monde.



En attendant, Robert doit payer l’addition salée du restaurant chic où il a invité Cleo. Son oncle va chercher de l’argent chez un antiquaire (Lai Ying-chau, pour qui Wong Kar-wai écrira aussi des scénarios) et en profite pour voler un miroir circulaire doté de pouvoirs magiques. Quand Cleo se regarde dans cette glace, des petites étoiles en sortent et créent un esprit aussi espiègle que facétieux. En l’occurrence, c’est la même actrice qui joue cet esprit qui va tendre quelques pièges à Robert dans le décor en carton pâte de la publicité : une statue de la liberté, un sphinx géant, des gratte-ciels qui se mettent à vivre et à assaillir Robert. Les effets spéciaux sont particulièrement pauvres, sous les décors on devine les figurants qui doivent tant bien que mal se déplacer.

La troisième partie du film œuvre à l’accomplissement de la romance entre Cleo et Robert. Il faut d’abord que son esprit joyeux retourne chez Cleo qui est en contradiction avec sa vraie nature profonde. Voyant dans quelle situation « l’esprit » a mis Robert, elle va se matérialiser et créer quelques quiproquos comiques : le miroir affecte Monica (Wong Wan-si), régisseuse du tournage et fiancée de l’oncle, puis une vieille dame qui assaille Robert sexuellement. Enfin, c’est sur un mode tragique quand Robert a un accident de voiture et que l’esprit de Cleo doit tout réparer grâce à la magie. Unforgettable fantasy est surtout une romance très fauchée et pas franchement réussie où l’on aurait du mal à trouver la marque de Wong Kar-wai, si ce n’est dans l’idée que l’accomplissement de l’amour entre un homme et une femme dépasse la raison.

Unforgettable fantasy (小狐仙, Hong Kong, 1985) Un film de Frankie Chan avec Frankie Chan, Joyce Ngai, Stanley Fung, Wong Wan-si, Charlie Cho, Kitty Chan, Guy Lai Ying-chau, Law Ho-kai, Jamie Luk, Stephan Yip, Joh Chung-sing, Sarah Lee, Si Gaai-keung.

jeudi 25 avril 2013

2046 + La Main (Eros)


En 2004, Wong Kar-wai tourne son film le plus long (2046, durée 133 minutes) et La Main (dure 39 minutes). Ce dernier sélectionné à la Mostra de Venise 2004 fait partie d’un film à sketches (Eros, sorti en salles en mais 2005). C’est Michelangelo Antonioni qui est à l’initiative d’Eros, coproduction européenne et qui souhaitait le cinéaste hongkongais travaille avec lui sur ce projet, car il est vrai que très superficiellement les deux cinéastes labourent le même sillon thématique. Le troisième cinéaste est Steven Soderbergh, sans doute choisi parce que le titre de son premier film est Sexe mensonges et vidéo.

Quant à 2046, sa légende a précédé sa découverte par le public. Sélectionné au Festival de Cannes avant même la première scène tournée (une sorte de commande de Gilles Jacob, Président du Festival), arrivé en avion quelques minutes sa projection officielle, les bobines étaient données directement par Wong Kar-wai au projectionniste. Et puis on a dit que le film n’était pas achevé d’être fini, que le montage sonore était inabouti, que le cinéaste a coupé beaucoup de scènes avec Maggie Cheung pour la sortie du film et qu’en conséquence l’actrice se serait fâchée à mort avec le cinéaste. Qu’on se souvienne que le film a été vendu comme une suite à In the mood for love.

Plus qu’une suite, 2046 est un démarquage du film précédent de Wong Kar-wai, une sorte de palimpseste où les personnages seraient les mêmes avec des situations et des lieux assez proches mais tout serait différent. Ainsi M. Chow (Tont Leung Chiu-wai) est bien à Hong Kong en 1966, il est effectivement écrivain et il cherche une chambre où se loger. Il est cette fois célibataire. L’une des scènes d’ouverture située en 1964 à Singapour le montre en pleine rupture. Il se souvient de la chambre 2046 qu’il veut louer, elle n’est pas libre. Le propriétaire de l’hôtel doit la faire nettoyer, une femme vient d’y mourir (est-ce le personnage de Madame Chan qu’incarnait Maggie Cheung ?). On lui propose la chambre 2047 d’où il pourra observer tout ce qui se passe et raconter en voix off tout cela au spectateur.

Ce qu’il se passe, c’est la routine du cinéma de Wong Kar-wai. Puisqu’il n’y a pas Maggie Cheung, le spectateur a droit à un défilé de jeunes actrices qui portent le même genre de robes moulantes sur la musique de Peer Raben (ainsi que sur d’autres morceaux). Le hasard a toujours été la marotte de Wong Kar-wai. Le personnage de Chow rencontre donc des femmes au hasard ou restera avec elle si le destin en décide (la scène des cartes en ouverture). On y voit quelques bribes de vie un peu triste où les femmes demeurent les objets de convoitise des hommes. Les scènes au ralenti semblent également choisies au hasard. Bien plus présentes que dans In the mood for love, le ralenti n’accentue ici jamais les moments de grâce que vivaient les deux amoureux.

Le film s’embourbe vite dans une parodie du style de Wong Kar-wai, ou comme on dirait poliment « Wong Kar-wai fait du Wong Kar-wai ». Tony Leung Chiu-wai a beau sourire, les duos avec les autres actrices tournent à vide. Et puis dans 2046, le vrai souci reste cette partie futuriste, peu présente (à peine un quart du film) mais d’une rare laideur visuelle où les effets spéciaux font rire, où le rouge des décors et les talons hauts lumineux doivent créer de l’érotisme. Cette partie futuriste, c’est le roman de science fiction que M. Chow est censé écrire inspiré par les personnes rencontrées dans l’hôtel. 2046, c’est aussi la date où Hong Kong cessera d’être autonome et sera englouti par Pékin. Mais de cela, il ne sera jamais question.



Dans La Main, Mademoiselle Hua (Gong Li) est une cocotte, une femme entretenue, qui aime les robes par dessus tout. Son tailleur favori envoie un jour son commis (Chang Chen) qui tombe immédiatement amoureux de cette femme. Dès leur première rencontre, une fois que l’amant de Hua est parti et que la bonne a fait rentré le commis, la femme fatale lui fait baisser son pantalon et son slip et le masturbe, comme pour prendre possession du jeune homme qui deviendra son livreur attitré tout autant que son amoureux transi et secret. Leur liaison platonique dure des années, mais bientôt, elle manque d’argent car elle est rejetée par ses amants fortunés. Mais le commis continue de lui fournir ses robes avec ce regard de Chang Chen d’un grand désespoir, sauvant la plupart des scènes face au cabotinage de Gong Li qui se la joue tragédie grecque.

Le court-métrage de Wong Kar-wai se déroule dans deux lieux : l’atelier de couture où les ouvriers sont tous en débardeur, en sueur, dans le bruit des machines à coudre, le décor est vide, les pièces sont petites et la promiscuité est grande ; l’appartement de mademoiselle Hua est vaste, décoré avec goût (comme dans 2046, on retrouve l’attrait de Wong Kar-wai pour les couleurs vert et ocre), elle vit seule. Quand le commis doit aller chez elle, il passe du débardeur au costume chic, l’escalier qui mène chez elle fait office de préliminaire. Puis, il écoute les disputes entre Hua et son amant, espérant un jour se trouver dans cette pièce où il pourra l’aimer. La Main poursuit la thématique du cinéaste des amours inachevées mais impossibles sans que son film n’apporte une nouvelle pierre à l’édifice de son œuvre.

2046 (Hong Kong – France, 2004) Un film de Wong Kar-wai avec Tony Leung Chiu-wai, Zhang Ziyi, Faye Wong, Kimura Takuya, Gong Li, Carina Lau, Siu Ping-lam, Chang Chen,

Eros - La Main (The Hand, France – Luxembourg – Italie, 2004) Un film de Wong Kar-wai avec Gong Li, Chang Chen, Tien Feng, Chan Chun-luk, Chow Kin-kwan.

mardi 23 avril 2013

Le Fossé


Trois ans après Fengming, Chronique d’une femme chinoise, Wang Bing poursuit son analyse des camps de travail en Chine. Le Fossé, son unique fiction à ce jour se déroule en 1960 au beau milieu du désert de Gobi. Il met en scène l’une des parties du récit que Fengming consacrait à son époux. La gageure est que la vieille dame n’as pas vécu ce qu’il a subi, Le Fossé apparait donc comme un contrepoint à sa propre vie. Il est d’abord difficile de différencier les différents personnages du film, sauf le cadre du parti qui chapote le camp et celui qu’il va choisir parmi les prisonniers pour le seconder. Cela fait partie du contrat du film, une immersion totale comme si le spectateur était un prisonnier, une entrée dans l’inconnu Puis, petit à petit, certains se détachent du récit. Il faut dire que les décès sont nombreux et qu’il n’en reste que peu à la fin du film.

L’immersion dans le camp se fait avec l’accueil par le cadre qui désigne à chaque prisonnier son trou. En effet, ils logent dans des cavernes creusées dans le sable. Une planche pour dormir, une couette pour survivre au froid de la nuit et de l’hiver rigoureux. Le travail consiste à creuser une digue au milieu du sable sous le soleil. Histoire de bien rendre inutile leur labeur. La nourriture est maigre, composée d’un bol de soupe au riz. La faim tenaille les ventres. Certains vont cueillir des graines dans les maigres plantes qui parviennent à pousser. Le cadre les gronde comme des enfants, argumentant qu’ils vont gonfler. L’un des prisonniers a tellement faim qu’il avale le vomi d’un de ses comparses. Le cadre du parti continue à avoir son bol de nouilles bien fumantes, histoire dans rajouter dans la démonstration du sort malheureux des antirévolutionnaires. Et les humiliations quotidiennes sur leur manque d’engouement au travail. Et chaque nuit, les morts qu’il faut enlever du dortoir.

La description de la vie se plie à la méthode de Wang Bing. Les détails sont montrés avec lenteur accentuant l’impression de lassitude et de répétition du même jour. L’atmosphère du camp est d’autant plus sinistre que les gardiens appliquent à un haut degré les absurdes recommandations du cadre du parti. Parce que les prisonniers meurent de faim et de fatigue la nuit, le cadre décide que le contremaître doit leur parler la nuit et les garder éveillés. Ce qui bien entendu augmente leur fatigue. On est chez Kafka. Au fur et à mesure du film, Wang Bing ne s’intéresse plus au travail des prisonniers mais aux relations qu’ils entretiennent entre eux entre désespoir et envie d’en finir. Et puis les vestes sont de plus en plus élimées, l’hiver apporte la neige. On se croirait dans un film de zombies, ils peinent à se déplacer, titubent, ils rampent. Ils vivent comme des rats qu’ils mangent pour avoir un peu de viande.  Le Fossé, à sa manière, est un film d’horreur.

La deuxième heure du Fossé voit l’arrivée d’un personnage féminin, inspiré de Fengming. Comme cette dernière, elle cherche son mari qui vient de mourir quelques jours auparavant. Cette partie convainc moins que la précédente, tant l’actrice se complait dans la création d’une émotion et dans l’expression appuyée de son chagrin. Elle déambule dans le désert enneigé à la recherche de la tombe de son époux. Quand on parle de tombe, ce sont en fait des monticules de sable tout juste déposés sur eux. Cependant l’horreur continue avec le récit d’un co-prisonnier qui explique la raison pour laquelle il ne veut dire où se trouve cette tombe : des parties de son corps ont été dévorées. Par des loups qui rodent ou par cannibalisme ? Le film laisse planer le doute. On retrouve dans cette deuxième partie plusieurs témoignages que Fengming donnait dans son film : le mépris du cadre (« Pourquoi n’as-tu pas divorcé ? Tu aurais du te désolidariser de ton mari » lui sort le cadre, la peur de dormir à côté de ses hommes, les victuailles qu’elle leur offre). Que ce soit dans Le Fossé comme dans Fengming, l’horreur des camps est décrite avec une acuité rarement égalée.

Le Fossé (The Ditch, 夹边, Hong Kong – France – Belgique, 2010) Un film de Wang Bing avec Cheng Zhengwu, Jing Niansong, Li Xiangnian, Lian Renjun, Lu Ye, Xu Cenzi, Yang Haoyu.

Fengming, Chronique d'une femme chinoise


« Bon, je commence au début ». C’est la première phrase que prononce He Fengming, vieille dame au centre du long documentaire (3heures et 04 minutes) que Wang Bing lui consacre. Elle s’assoit dans son salon, la caméra sera fixe et ne bougera guère, si ce n’est dans le plan d’ouverture où le cinéaste la filme de dos dans la rue tandis qu’elle rentre chez elle sous la neige. Le début, c’est en 1949 dans la ville de Lanzhou. Jeune femme, elle abandonne ses études pour entrer dans un journal communiste. Mao Tsé-toung vient de gagner la guerre civile et il est au pouvoir. Elle concède que naïvement, elle voulait changer la Chine et s’engager dans la lutte des classes. Elle se considère comme une bonne militante, elle porte l’uniforme avec fierté, elle applique les directives du parti. Elle se marie avec Wang Jingchao, elle a deux enfants avec lui, ils s’aiment, la vie est belle.

En mai 1957, la musique change de ton. Fengming part pour la première fois de sa vie en voyage à Pékin. Quand elle revient à Lanzhou, une nouvelle directive annonce que la chasse aux « droitiers » est lancée. Les droitiers sont des membres du parti qui semblent dévier de la ligne officielle révolutionnaire. Jingchao écrit, suivant l’appel dit des 100 fleurs, un article fort apprécié dans le journal. Il critique vertement les cadres qui s’enfoncent dans la bureaucratie. Le deuxième texte commence à susciter des réactions plus contrastées. Le troisième texte n’est pas publié. Les humiliantes séances de critiques, seul face à une centaine de ses collègues, commencent. Puis c’est Fengming, qui a écrit quelques dazibaos (tracts public), qui est accusée de dérive droitière.

La suite de l’histoire de Jiongchao et Fengming continue. Assise tranquillement dans son fauteuil, elle explique qu’ils ont été séparés. Volontairement. Persuadés par leur conviction qu’ils pourraient se réhabiliter très vite au sein du parti, ils acceptent d’aller dans des camps de travail. Elle dans une ferme collective, lui dans un camp au milieu du désert où il creuse une digue. Ils ne se reverront jamais. Ils seront séparés de leurs enfants. C’était en 1960. Il mourra en camp. Elle l’apprendra en s’y rendant et les cadres du parti qui la reçoivent ne prennent même pas la peine de la regarder. Fengming continue son récit en expliquant qu’en 1969 lors de la Révolution Culturelle, la machine s’emballe à nouveau, pour les mêmes raisons, celle de la soupçonner d’être droitière. Puis, le film se termine par sa lutte pour la réhabilitation de ces militants envoyés en camp et sa recherche de témoignages similaires au sien.

La grande force de Fengming, Chronique d’une femme chinoise, au-delà du témoignage poignant de He Fengming, est son dispositif d’une grande simplicité. Elle narre sa vie sur quarante ans sans images d’archive, sans autre chose que le son de sa propre voix, sans intervention ou question de Wang Bing. Mais elle est d’une telle précision dans les détails (les aliments disponibles, les gens qu’elle rencontre, la description des lieux où elle séjournait) comme dans l’analyse de ses sentiments (sa naïveté devant la ligne du parti, sa peur des éventuelles punitions, ses espoirs de retrouver son mari) que le récit est extrêmement vivant, trouvant le mot juste y compris pour raconter les quelques moments de joie. Le spectateur qui regarde le film, puisqu’elle est assise en face de lui, produit mentalement et imagine, à force d’évocation, le scénario du documentaire. Tout cela fonctionne grâce à la pudeur avec laquelle Fengming raconte cela ne tombant jamais dans l’émotion facile et la mièvrerie.

Fengming, Chronique d'une femme chinoise (凤鸣, Chine – Hong Kong – France, 2007) Un film de Wang Bing.

dimanche 21 avril 2013

The Land of hope


Comment filmer la catastrophe de Fukushima ? La méthode la plus simple aurait pu être dans la reconstitution des événements tragiques, d’en faire un film catastrophe avec toute la population affolée et évacuée de la zone irradiée et de faire un pamphlet sur l’imbécillité et l’égoïsme de l’homme face à la nature en argumentant sur l’incompétence des pouvoirs publics. Sono Sion dans The Land of hope fait exactement l’inverse et cela risque de décevoir bon nombre de ses fans hardcore habitués à l’énergie folle de la mise en scène du cinéaste japonais. Et d’abord, The Land of hope ne parle pas de Fukushima. Mieux que cela, il invente une nouvelle catastrophe nucléaire similaire dans une ville nommée Nagashima, jeu de mots transparent entre Nagasaki et Fukushima. Son film est avant tout une œuvre de science fiction qui prend pour cadre ce bourg de campagne.

La famille Ono habite dans cette paisible ville. Le vieux père (Isao Natsuyagi) élève des vaches avec l’aide de Yoichi (Jun Murakami) son fils trentenaire et de Yoko (Hikari Kajiwara) sa belle-fille. Ils cultivent aussi des légumes bio. Leur brocoli est réputé au village. La mère (Megumi Kagurazaka) bichonne les fleurs de son jardin. En face de chez eux, on rencontre les voisins tout aussi sympathiques et leur chien jaune trop kawaï nommé Peggy. Tout se passe bien, les oiseaux gazouillent, les gens sourient, tout le monde s’entend bien. Un havre de paix qui va être brisé par la catastrophe nucléaire. On ne verra que la centrale atomique dans le poste de télévision pendant le journal, Sono Sion ne laisse entendre que quelques sons sourds et courts. Au spectateur d’éventuellement imaginer ce qui ne peut de toute façon pas se filmer. Le cinéaste sait qu’on ne peut pas mettre en scène avec réalisme des atomes qui explosent et un tsunami qui s’abat sur la côte.

Les forces de police entrent en scène dans leur combinaison blanche et débitent le discours habituel sur le nucléaire. Avec un sens du cynisme certain, les autorités placent une barrière qu’il ne faudra pas franchir dans une zone de vingt kilomètres autour de la centrale. Tous ceux qui habitent dans cette zone doivent être évacués rapidement. L’ironie du film typiquement kafkaïenne est que cette barrière faite de quelques planches passe juste devant la maison des Ono. Si leurs voisins sont évacués, les Ono peuvent rester chez eux et continuer de vaquer à leurs occupations. Eux, ils ne risquent rien ! Le film pointe la gestion désastreuse de la catastrophe par l’état, les personnages rappellent que les paroles rassurantes mais mensongères entendues à la télévision à l’époque de Fukushima sont les mêmes que celles de cette catastrophe. Ils se retrouvent seuls dans un no man’s land, ils recueillent le chien laissé sur place par les voisins et écoutent les informations. Le père trouve dans son garage le compteur Geiger qu’il avait acheté en 1986 après Tchernobyl. Pour une fois, il va servir.

Rester ou ne pas rester est l’unique question que se posent les personnages. Le fils est convaincu par son père de partir, d’aller dans un autre lieu. Il emmène sa femme. Parce qu’il vient de Nagashima, on le soupçonne de pouvoir contaminer ceux qu’il rencontre. Il clame haut et fort qu’il vient d’une zone non irradiée. Il faut trouver un nouveau boulot. Sa copine est enceinte et s’affole de savoir si son enfant sera irradié. Le film se lance alors dans une fiction de pure paranoïa où la petite-amie du fils va calfeutrer chaque cloison de son appartement et revêtir une combinaison de cosmonaute. Le règne du plastic est arrivé. Les collègues de travail ne voient pas d’un bon œil la peur de la copine d’autant qu’ils entendent à la télé que tout va aller mieux. Sono Sion ne renonce pas à la poésie avec la tentative de retour à Nagashima des fils de voisins qui croisent deux enfants mystérieux au milieu d’une ville dévastée et envahie par la neige. Ce trajet métaphorise une quête ininterrompue vers un au-delà meilleur.

Là où The Land of hope risque le plus d’étonner, et d’irriter plus d’un spectateur, est dans son traitement strictement mélodramatique des rapports entre le père et la mère. Cette dernière demande constamment quand « ils vont rentrer à la maison », elle se met à lever les yeux au ciel en souriant mystérieusement ou encore elle s’émeut des fleurs qui se mettent à faner. En un seul mot, elle a la maladie d’Alzheimer et elle est condamnée. Alors qu’un habitant de la ville tente de finalement faire évacuer le vieux couple, le film s’acharne à filmer leurs derniers moments de vie commune. A quoi cela peut servir de partir ? pense Monsieur Ono. Ils admirent les arbres qui dominent leur propriété depuis des générations, ils se regardent yeux dans les yeux, elle monte sur son dos et rient de bon cœur. Paradoxalement, ces scènes sont dénuées d’émotion mièvre et c’est tant mieux. Pour reprendre le titre du film, Sono Sion affirme avec un grand désespoir non dénuée de panache que s’il existe un pays de l’espoir, il ne se trouve pas ici.

The Land of hope (希望の国, Japon, 2012) Un film de Sono Sion avec Isao Natsuyagi, Jun Murakami, Megumi Kagurazaka, Mitsuru Fukikoshi, Hikari Kajiwara, Motoki Fukami, Shirô Namiki, Yusuke Iseya, Mariko Tsutsui, Fusako Urabe.

vendredi 19 avril 2013

In the mood for love


Un décor, deux personnages, il ne faut guère plus d’éléments à Wong Kar-wai pour concevoir l’univers de In the mood for love. Elle s’appelle Madame Chan (Maggie Cheung), il se nomme Monsieur Chow (Tony Leung Chiu-wai). On ne connaitra jamais leurs prénoms, ils seront toujours appelés ainsi. En cette année 1962 à Hong Kong, ils louent avec leur mari et femme respectifs dans deux appartements mitoyens. Ils vont faire connaissance lors de leur emménagement. Les livreurs se trompent constamment dans les paquets, déposant certains chez l’un et d’autre chez l’autre. Monsieur Chow en profitera pour ramener l’un de ces paquets échangés à Madame Chan et se parler pour la première fois après s’être déjà regardé. Très vite, Monsieur Chan et Madame Chow vont quitter le récit, on ne verra jamais leurs visages, tout juste entend-on leur voix quand chacun d’eux annonce son retard après le travail, un séjour au Japon. Ils ne sont plus dans leur appartement, et cette absence est la première raison du rapprochement entre Madame Chan et Monsieur Chow.

L’adultère est dans l’air du temps. M. Ho (Lai Chen), le patron de Madame Chan – elle travaille comme secrétaire dans une compagne de transports maritimes – lui demande d’appeler son épouse pour annoncer son retard et voir Mlle. Yu sa maîtresse. De son côté, Monsieur Chow – lui est auteur de feuilletons dans un journal – a un ami Ping (Siu Ping-lam) qui vient régulièrement lui taper un peu d’argent pour se payer une prostituée. Madame Chan et Monsieur Chow se croise dans les couloirs menant à leur appartement, dans l’escalier du restaurateur. Elle préfère s’acheter quelques nouilles qu’elle mettra dans son thermos plutôt que de se faire inviter par Madame Suen (Rebecca Pan), l’encombrante et indiscrète propriétaire du lieu qui passe ses soirées à jouer au mah-jong avec les voisins, dont Monsieur Koo (Chan Man-lei), propriétaire de l’appartement de Monsieur Chow. Ama (Mama Hung), la vieille bonne de Mme. Suen n’est pas en reste pour fourrer son nez dans les affaires des autres. Le paroxysme sera atteint au milieu du film dans la chambre de Monsieur Chow où se trouve Madame Chan qui ne peut pas sortir de peur du qu’en dira-t-on. In the mood for love montre un Hong Kong étriqué, vivant dans la promiscuité et paradoxalement, comme dans Nos années sauvages, les rues sont toujours vides.

Comme le dit Chow, il faut « maitriser ses sentiments », d’autant qu’il reste persuadé que Madame Chan ne quittera pas son époux pour lui. Malgré le constat qu’ils font, Monsieur Chan est devenu l’amant de Madame Chow. Ils s’en sont aperçus parce que l’une porte le même sac à main que Madame Chan et que l’autre revêt la même cravate que Monsieur Chow. Des cadeaux d’amants similaires aux cadeaux des époux. Les tenues des personnages ont encore plus d’importance que les décors, somme toute assez simple, Wong Kar-wai et son chef décorateur refusant de tomber dans le décorum et la naphtaline facile de la recréation des années 1960. Finis les slips et les marcels blancs de Leslie Cheung et Tony Leung Chiu-wai dans Happy together. Ce dernier est désormais constamment en costumes et cravate. Le personnage de Maggie Cheung porte toute une collection de robes parfaitement ajustées à sa taille et aux couleurs et motifs variés. C’est bien simple, elle change de robe à chaque séquence. L’érotisation de son corps passe par ses robes. Jamais les deux amants putatifs n’enlèveront le moindre vêtement. Ils se toucheront à peine, n’échangeront aucun baiser, toujours dans cette volonté de maîtriser ses sentiments. L’érotisation atteint son comble dans les quelques ralentis où se dandine l’actrice tenant son thermos.

En parlant de maîtrise justement, In the mood for love apparait comme l’aboutissement de la mise en scène de Wong Kar-wai. Il pratique avec ce film le retranchement, moins de personnages, moins de décors, moins de récit. Ses scènes sont très courtes, finissant souvent (au moins dans la première partie) par des fondus au noir. Il ne subsiste que des bribes de dialogues entre Madame Chan et Monsieur Chow. Les scènes sont scandées par la musique lancinante de Michael Galasso et les mélancoliques chansons en espagnol de Nat King Cole. Comme dans ses films précédents, le désir d’évasion hante les personnages. L’évasion d’abord immobile avec la tentation de l’adultère puis le départ de Monsieur Chow, dans la deuxième partie, pour Singapour et ensuite le Cambodge, le départ pour les Etats-Unis de Madame Suen, les produits inédits ramenés du Japon par Monsieur Chan. Paradoxalement, cette évasion ne fait qu’accentuer le sur-place sentimental du personnage de Tony keung Chiu-wai. Or cet aboutissement dans l’œuvre du cinéaste est aussi sa limite, comme s’il était devenu avec 2046 et plus encore dans My blueberry nights incapable de recréer la magie hypnotique de In the mood for love, dont le succès critique et public a été phénoménal, plaçant jusqu’à aujourd’hui Maggie Cheung et Tony Leung Chiu-wai au firmament des stars glamour et sexy.

In the mood for love (花樣年華, Hong Kong, 2000) Un film de Wong Kar-wai avec Maggie Cheung, Tony Leung Chiu-wai, Rebecca Pan, Siu Ping-lam, Lai Chen, Chan Man-lei, Mama Hung, Roy Cheung.

jeudi 18 avril 2013

Sorties à Hong Kong (avril 2013) Drug war


Drug war (毒戰, Hong Kong – Chine, 2013) 
Un film de Johnnie To avec Louis Koo, Sun Hong-lei, Crystal Huang, Michelle Ye, Lam Suet, Wallace Chung, Gan Ting-ting, Gao Yun-xiang, Xiao Cong, Li Guang-jie, Yin Zhu-sheng, Lo Hoi-pang, Eddie Cheung, Lam Ka-tung, Wang Bao-qiang, Guo Tao, Cheng Tai-shen, Li Jing, Hai Qing, Patrick Keung, Tan Kai, Alex Fong Lik-sun. 105 minutes. Classé Catégorie IIB. Sortie à Hong Kong : 18 avril 2013.

mercredi 17 avril 2013

The Grandmaster


Le kung-fu, c’est horizontal et vertical affirme Ip Man (Tony Leung Chiu-wai) en ouverture et en clôture de The Grandmaster. Le combattant vertical est le vainqueur, l’homme horizontal est le vaincu. Pour sa première incartade dans les années 1930, Wong Kar-wai place le héros chinois face à des compétiteurs adeptes des arts martiaux issus du nord de la Chine. Ip Man pratique le wing chun, combat du sud. Ce dernier parle cantonais quand tous ses adversaires parlent mandarin. Son hôte, maître Gong (Wang Qingxiang) lui présente les meilleurs représentants des boxes du nord pour une démonstration. Il s’agit d’abord de montrer les différentes techniques que le cinéaste filme avec application, les positions des pieds prêts à toucher l’adversaire, les placements des mains, les regards face au combattant. Puis, les coups partent dans une chorégraphie sèche de Yuen Woo-ping, ultra découpée mais parfois plaisante. La pluie et la neige sont esthétisées à leur maximum.

Ip Man est fasciné par la savoir de Gong Er (Zhang Ziyi), la fille de maître Gong qui est son héritière en kung-fu et qui connait les 64 techniques de son école. Face aux trois mouvements du wing chun, cela fait beaucoup. Là, Wong Kar-wai pointe toutes les divisions de la Chine de cette période, divisions à la fois culturelles, d’abord celles de la langue, mais aussi celles des écoles qui n’ont pas réussi à se moderniser et qui risquent de s’éteindre (ce sera le cas dans The Grandmaster pour la technique des Gong). Wong Kar-wai souligne que l’art martial d’Ip Man est vertical et celui des Gong est horizontal, l’un va survivre à son concepteur, l’autre mourir avec elle. Les événements de l’époque (le film se déroule sur vingt ans), guerre contre le Japon puis invasion, révolution communiste, exil d’Ip Man à Hong Kong sont chacun évoqués rapidement et ponctués par une photographie qui clôt chaque chapitre.

Plus encore que dans ses films précédents, les rapports entre Ip Man (qui est marié et père) et Gong Er s’apparentent à une romance qui sera vouée à l’échec. Cette romance, si elle existe, est à peine évoquée, le cinéaste laisse le spectateur libre de choisir s’ils sont tombés amoureux l’un de l’autre. Le personnage de Gong Er vient au premier plan dans une bonne partie de The Grandmaster, qui s’avère être le personnage moteur du film,  notamment dans son affrontement avec Ma Sam (Zhang Zin) qui se prétend l’héritier de son père mais qui a collaboré avec les Japonais et est considéré comme un traitre. Gong Er va chercher à se venger de lui. Cette dernière se voue entièrement au kung-fu, abandonnant en coupant ses cheveux à vivre sa vie de femme (et donc, éventuellement, son affection pour Ip Man). Elle rencontre également Yi Xiantian (Chang Chen), personnage trouble qu’elle aide à échapper à la police. Ce personnage, mal défini et superflu, marque le premier écueil du film.

L’autre écueil de The Grandmaster vient de sa grande mollesse formelle comme si, après sa rude épreuve de My blueberry nights (éprouvante pour les spectateurs), il s’était contenté de filmer des tunnels de dialogues remplis d’aphorisme sur le kung-fu, la vie et la Chine ponctués de quelques combats vifs mais à la mise en scène chaotique. L’autre écueil vient du choix de la musique bien moins enthousiasmante que d’habitude et qui gâche parfois la scène. Pour tout dire, jamais l’émotion des moments dramatiques ne parvient à s’épanouir. Qui plus est, l’abus des ralentis finit vite par lasser. Des ralentis partout, dans les combats certes et c’est plutôt joli, mais aussi dans les déplacements des personnages pour appuyer les mouvements des acteurs, mais également dans de nombreuses autres scènes sans que cela apparaisse comme justifié. Le film se termine presque de manière comique (rencontre avec Bruce Lee, puis Ip Man qui s’adresse avec un sourire au spectateur).

On a beaucoup lit, ici ou là, que Wong Kar-wai avait préparé son film depuis des années. On remarquera que le nombre d’années change suivant l’article de presse que l’on lit, entre dix et six ans (soit depuis son dernier film). La sortie du film est bien entendu considérée comme un événement parce que le cinéaste a été tant adulé qu’il est impossible qu’il ne représente pas aujourd’hui le cinéma de Hong Kong. Il faut rappeler que le dernier film hongkongais à être sorti est La Vie sans principe de Johnnie To, sorti en juillet 2012. Prudemment, peu de critiques n’ont osé comparer The Grandmaster avec Ip Man et Ip Man 2 de Wilson Yip ni avec The Legend is born Ip Man d’Herman Yau. La différence profonde avec The Grandmaster peut se résumer dans l’absence de l’insupportable nationalisme des autres films sur Ip Man. Et c’est déjà ça mais c'est pas suffisant pour faire de The Grandmaster un meilleur film.

The Grandmaster (一代宗師, Hong Kong – Chine, 2013) Un film de Wong Kar-wai avec Tony Leung Chiu-wai, Zhang Ziyi, Chang Chen, Wang Qingxiang, Song Hye-kyo, Zhang Zin, Yuen Woo-ping, Lau Shun, Bruce Leung, Julian Cheung.

dimanche 14 avril 2013

Irma Vep


Puisqu’à l’occasion de la sortie de The Grandmaster de Wong Kar-wai, je consacre ce mois d’avril 2013 au cinéaste, autant parler également d’Irma Vep, l’un des films français dans lesquels Maggie Cheung a joué (les autres sont les deux films d’Anne Fontaine autour de son personnage Augustin). Maggie Cheung, avant d’être l’actrice glamour d’In the mood for love en 2000 et d’accéder au statut de star tel qu’on le connait depuis, avait joué dans As tears go by, Nos années sauvages, Les Cendres du temps pour Wong Kar-wai. Quand Irma Vep est sorti, l’actrice n’était pas encore connue en France (relire les critiques de l’époque en témoigne). Elle avait pourtant joué dans de nombreux films à Hong Kong, la potiche de Jackie Chan comme la tentatrice pour Tsui Hark, mais resté inédits en France jusqu’alors. Tous ses films seront découverts plus tard alors que l’industrie cinématographique de Hong Kong commençait à sombrer.

C’est parce qu’il a admiré l’actrice dans Heroic trio de Johnnie To que le cinéaste René Vidal (Jean-Pierre Léaud) a décidé d’engager Maggie Cheung (dans son propre rôle donc). Le vieux réalisateur l’a choisie plutôt que Michelle Yeoh ou Anita Mui et lui montre un extrait du film où elle se bat contre les forces démoniaques. Il lui cause en anglais (et c’est lui dans le film qui écorche le moins la langue de Shakespeare) et souhaite lui faire jouer le personnage d’Irma Vep dans un remake improbable des Vampires de Louis Feuillade, série poussiéreuse mais admirée par la cinéphilie datant des années 1910. Il montre quelques extraits (muets) à Maggie des Vampires où la comédienne principale, Musidora vêtue d’une combinaison noire moulante, vole des bijoux. Pour Vidal, ce cinéma de Hong Kong est comparable dans sa manière de divertir, ce qui n’est pas faux. Un autre personnage, journaliste de cinéma grand public (Antoine Basler) évoque le cinéma cantonais qu’il vante comme fait pour le public. Il mime avec passion Une balle dans la tête de John Woo. Ce journaliste est à la fois ridicule et entier, mais tout à fait réaliste dans ses provocations puériles.

Dès le début d’Irma Vep, Maggie (comme l’appelle tout le monde) est plongée dans le tournage chaotique du film de Vidal et elle est un peu perdue. A peine accueillie par l’équipe qui passe son temps à répondre au téléphone, vérifier chaque élément et accessoirement à s’engueuler, l’actrice est prise en charge par Zoé (Nathalie Richard), la costumière. La première partie se consacre à la découverte des arcanes du tournage et des personnages qui vont graviter autour de Maggie. Maïté (Dominique Faysse) l’assistante râleuse, Désormaux (Alex Descas) le producteur et quelques comédiens qui vont jouer avec elle. L’idée est de faire de Maggie l’égale du spectateur qui découvre, en même temps qu’elle, la réalisation d’un film art et essai au budget précaire et où l’absence patente de préparation provoque une agitation comparable à celle d’une ruche. Olivier Assayas se moque gentiment du tournage et des membres de l’équipe mais la caricature aurait mieux fonctionnée s’il l’avait comparée avec la manière, tout aussi précaire, de faire un film à Hong Kong.

Il s’agit maintenant à Zoé de trouver une combinaison de latex à Maggie, tenue qui l’accompagnera pour son rôle. Zoé est immédiatement séduite par Maggie et en tombe amoureuse mais là encore l’idée n’aboutit à pas grand-chose si ce n’est que le personnage Maggie est l’objet du fantasme de la costumière comme l’actrice Maggie Cheung devient le fantasme du cinéaste Olivier Assayas (il faut rappeler qu’ils se marieront après le film). Ainsi, les gros plans sur le visage de l’actrice seront de plus en plus présents, il filme ses déplacements avec beaucoup de grâce. La scène du vol des bijoux où Maggie Cheung se déplace agilement dans les couloirs vêtue de sa combinaison et termine sous la pluie est peut-être la plus belle du film. Les images finales où la pellicule est grattée sont sublimes. Ce qui sauve son personnage par rapport aux autres est son grand calme, son sourire constant et ses grands yeux écarquillés devant les inepties que débitent à toute vitesse les autres personnages. Olivier Assayas fera tourner Maggie Cheung dans Clean, film largement moins convaincant.

Irma Vep (France, 1996) Un film d’Olivier Assayas avec Maggie Cheung, Nathalie Richard, Jean-Pierre Léaud, Antoine Basler, Nathalie Boutefeu, Alex Descas, Dominique Faysse, Lou Castel, Bulle Ogier.

samedi 13 avril 2013

32ème Hong Kong Film Awards, Cold war sacré meilleur film


Cold war, le film de Leungman Leung et Sonny Luk, sort grand gagnant de la cérémonie des 32ème Hong Kong Film Awards : meilleur film, meilleure réalisation, meilleur scénario, meilleur acteur (Tony Leung Ka-fai), meilleur nouvel interprète (Alex Tsui), meilleur montage (Kwong Chi-leung et Wong Hoi), meilleure musique originale (Peter Kam), meilleur son (Kinson Tsang), meilleurs effets visuels (Cheng Man-ching). Avec neuf récompenses, le film procède à une véritable razzia.

Les deux films de Pang Ho-cheung n’ont pas été oublié. Miriam Yeung est la meilleure actrice de l’année pour Love on the buff. Les deux interprètes du superbe et vivifiant Vulgaria, Ronald Cheng (meilleur acteur dans un second rôle) et Dada Chen (meilleure actrice dans un second rôle), sont récompensés.

Parmi les autres Hong Kong Film Awards, The Silent war est récompensé pour la meilleure photographie (Anthony Pun), The Last tycoon reçoit le prix des meilleurs décors (Yee Chung-man et Eric Lam) ainsi que celui de la meilleure chanson originale. Les meilleurs maquillages et costumes sont dans The Great magician (Yee Chung-man et Jessie Dai), CZ 12 de Jackie Chan est évidemment sacré pour sa meilleure chorégraphie des combats. Le meilleur nouveau réalisateur est Roy Chow pour son premier long-métrage Nightfall. Enfin, le meilleur film chinois est Back to 1942 réalisé par Feng Xiaogang.

Les Anges déchus


« La nuit, on croise des gens bizarres », entend-on dans Les Anges déchus. Et parmi tout ces gens bizarres, Wong Kar-wai en choisit cinq, deux garçons et trois filles. Le film va explorer quelques bribes de leur vie. Ce qui lie ces personnages est ténu. Ils habitent dans le même quartier. Tous sont des solitaires, tous vivent la nuit, tous sont en marge. Ming (Leon Lai) est tueur à gages. Michelle Reis est son assistante qui vient faire le ménage chez lui pendant ses missions. Blondie (Karen Mok) espère faire monter Ming chez elle. Ho (Takeshi Kaneshiro), muet, originaire de Taïwan, vit avec son père. Charlie (Charlie Yeung) demande de la monnaie à Ho pour s’engueuler avec son mec au téléphone. Aucuns ne se connaissent, ils vont se rencontrer par hasard, au gré de leur déplacement.

Il est possible de résumer le film autour des histoires d’amours complexes que vivent les protagonistes. Michelle Reis, fébrile, est amoureuse de Ming mais elle ne le voit jamais. Quand elle est chez lui, elle se couche sur son lit et se masturbe. Elle écoute sur un jukebox une chanson de Laurie Anderson, avec une grande tristesse sur son visage, ses cheveux longs lui cachant les yeux. Elle est jalouse que Blondie ait rencontré Ming. C’était un soir dans un MacDo, elle arrive avec sa perruque blonde, s’assoit à côté de lui et l’invite à coucher avec elle. Les deux femmes ne sont pas opposées seulement physiquement (la brune et la blonde) mais également par leur humeur (la tristesse et la joie) et leur parole (le mutisme et l’intensité du bavardage).  Elle s’oppose également au sujet de Ming qui ne se donnera à aucune des deux femmes. Avec son visage d’une infinie tristesse (jamais un sourire), vêtu d’une unique chemise noire sur un débardeur blanc, il ne s’occupe que d’aller tuer les gens.

A l’inverse de Ming, Ho est tout sourire, change souvent de fringues (jusque dans des faux raccords volontaires) et incarne la joie de vivre. Ho a perdu la parole après avoir mangé des boites d’ananas périmé. Energique, le jeune homme s’approprie des boutiques en toute illégalité.et force les passants à consommer dans des scènes comiques. Un homme (Chan Man-lei) est obligé de manger plein de crèmes glacées dans un camion que Ho a volé. Il est clairement timbré, pas du tout raisonnable mais procure au spectateur une jouissance dans sa manière de braver les interdits. Ho rencontre Charlie dans un restaurant où elle appelle son petit ami. Hystérique, elle passe de la joie aux larmes au fil des coups de téléphone (elle est comme les personnages de Karen Mok et Michelle Reis, mais en une unité). Ho tomme amoureux d’elle et peut précisément en déterminer la date et l’heure. Son cœur sera brisé car elle ne pense qu’à son ex. Ho vit avec son père qu’il filme avec une caméra vidéo qu’il a emprunté à son patron japonais, une fois qu’il s’est enfin vraiment fait embauché.

Les personnages parlent peu entre eux mais leur voix off affirment ce qu’ils pensent et ce qu’ils vivent. Commentaires en direct, non réfléchis, comme un instantané de leur vie actuelle. Le film refuse toute psychologie en n’indiquant que le minimum nécessaire sur eux. Ils sont surtout tous incapables de s’expliquer et d’exprimer leurs sentiments. Ce sont les chansons qui parlent pour eux : Speak my language, Forget him, Only you ou encore Go away from my world. Chaque morceau déclare leur solitude, leur mélancolie dans une nuit qui n’en finit jamais éclairée par les néons glauques. Les appartements sont minuscules et ils passent leur temps dans des bouibouis désertés par les clients. Pour accentuer encore plus le malaise, Christopher Doyle, le chef opérateur attitré de Wong Kar-wai, filme tout au grand angle, écrasant chaque visage. L’idée est a priori aberrante puisque le grand angle consiste à englober de grands décors et paysage et non des lieux mesquins et des visages en gros plan.

Totalement hongkongais, Les Anges déchus prend un malin plaisir à exploser les règles du jeu. Ming est un tueur à gages. Ses missions sont filmées au ralenti sur Karma coma de Massive Attack. Avec un flingue dans chaque main, il tue des dizaines de personnes sans que les enjeux ne soient expliqués. On joue au mahjong, on mange des nouilles, on fume clope sur clope. Il se crée une impression que tous sont dans un autre monde, déconnecté de la vraie vie, sans lien avec les autres hongkongais, si ce n’est avec les personnages des films de Wong Kar-wai, notamment ceux de Chungking Express qui a beaucoup de similitudes avec Les Anges déchus. Wong Kar-wai, toujours avec ce grand angle un peu écœurant, filme de longs couloirs, des escalators, le métro aérien comme autant de grandes lignes verticales qui brisent le scope horizontal du film. L’ambition du cinéaste est de montrer toutes les contradictions de sa ville, de ses personnages et de ses possibilités de la mise en scène dans un film qui offre une cosmogonie rare dans le cinéma de Hong Kong.

Les Anges déchus (Fallen angels, 墮落天使, Hong Kong, 1995) Un film de Wong Kar-wai avec Leon Lai, Michelle Reis, Takeshi Kaneshiro, Karen Mok, Charlie Young, Chan Man-lei, Toru Saito, Chan Fei-hung.

vendredi 12 avril 2013

Les Cendres du temps


Unique wu xia pian de Wong Kar-wai, Les Cendres du temps possède l'un des castings les plus impressionnants du cinéma de Hong Kong des années 1990 : Leslie Cheung, Jacky Cheung, Tony Leung Chiu-wai, Tony Leung Ka-fai (car pourquoi n'avoir qu'un Tony Leung quand on peut en avoir deux) pour les acteurs, Maggie Cheung, Charlie Young, Carina Lau et Brigitte Lin pour les actrices. Cette dernière prendra sa retraite de cinéma après ses deux films avec Wong Kar-wai. Le budget était l'un des plus importants de tous les temps, le tournage a duré deux ans, période au milieu de laquelle il a tourné Chungking Express, pour se reposer de la lourdeur du tournage des Cendres du temps. A sa sortie, le film est souvent jugé incompréhensible, ce qui peut se comprendre, il a été accusé d'avoir trahi les personnages littéraires créés par Jin Yong dont s'est inspiré, mais le plus souvent le film a été admiré et comparé à Sergio Leone. Les Cendres du temps a ensuite été entièrement remonté par Wong Kar-wai, la musique a été un peu modifiée, Brigitte Lin a retrouvé sa voix originale en mandarin (elle parlait cantonais en 1994 et le doublage était affreux). C'est cette version appelée « redux » et sortie en mai 2008 dont je vais parler.

La Chine représentée dans le film n'est pas celle mise en valeur les années précédentes dans d'autres films inspirés de Jin Yong : pas de beaux costumes, pas de belles demeures, pas de sabres rutilants. La beauté cinégénique, l’ultra capacité à divertir ou le charme des Swordsman, d'Evil cult ou des Royal tramp, tous adaptés de récits de Jin Yong, est à l'opposée de celle des Cendres du temps. C'est à The Blade, sorti un an plus tard, que le film ressemble le plus. Leslie Cheung est Feng, vit seul au beau du désert chinois. Il est habillé de haillons, ses cheveux et sa barbe sont hirsutes et gras, sa demeure est délabrée. Feng est à la fois narrateur (voix off régulière sur un ton monocorde) et personnage autour duquel tous les autres protagonistes tournent. Le film égraine les saisons : printemps puis été jusqu'à un deuxième printemps. Le sable est là, immuable, constant, de couleur ocre. Toutes les scènes du film se dérouleront en plein jour, la lumière intense du soleil sera transformée avec des filtres jaunes (à l'extérieur) et en filtres verts (à l'intérieur). Au cours des cinq saisons les personnages se succéderont pour rencontrer Feng.

Chacun cherche un sabreur pour éliminer un adversaire, pour assouvir une vengeance, pour soulager un amour déçu. Raconter le film comme si tout était narré par Wong Kar-wai de manière linéaire ne correspondrait pas à ce que le spectateur découvre à la vision des Cendres du temps. Mais disons que Yang (Brigitte Lin) qui veut se venger de Yaoshi (Tony Leung Ka-fai) qui s'est promis à Yin (Brigitte Lin, dans un double rôle androgyne). Yaoshi, qui a quitté son épouse (Carina Lau) vient rendre visite chaque printemps à son ami Feng et boit avec lui un peu d’alcool pour oublier sa vie. Un sabreur aveugle (Tony Leung Chiu-wai) vient se battre contre les voleurs de chevaux qui passent régulièrement par là. Lui aussi a été amoureux du personnage de Carina Lau. Une jeune femme (Charlie Young) propose des œufs à Feng. Qi (Jacky Cheung) vient achever l’œuvre entreprise par le sabreur aveugle et a abandonné son épouse (Bai Li). Enfin, Maggie Cheung incarne l’ancienne amoureuse de Feng, mais qui épousé son frère. Certains meurent, certains disparaissent, certains traversent les saisons. Chaque personnage est représenté par un objet, la cage à oiseau de Brigitte Lin, le panier d’œufs de Charlie Young, les chaussures de Jacky Cheung, le foulard de Tony Leung Ka-fai.

Les bribes de scénario, constituées essentiellement de dialogues banals, que filme Wong Kar-wai ne sont rien à côté du morcellement des images concoctées par le toujours fidèle chef opérateur Christopher Doyle. Tous deux expérimentent en triturant les images, poussent le montage à créer des faux raccords (sans que cela ne soit vraiment gênant), produisent des images hypnotiques avec les jeux de la lumière. Le plus frappant est le jeu avec la cage à oiseau qui tourne autour de Brigitte Lin et Leslie Cheung, projetant sur leurs visages des rayons de lumière. Les gros plans en abondance continuent de perdre le regard du spectateur sur les objets comme sur les visages. La décomposition des séquences de combat chorégraphiées par Sammo Hung, séquences filmées au ralenti, crée un flux d’images courtes où la violence le dispute à la poésie. Les Cendres du temps est un film qui ne ressemble à aucun autre, c’est un film jusqu’au-boutiste et assez schizophrène dans sa manière de vouloir offrir au spectateur un wu xia pian classique en n’en respectant aucune des règles auxquelles le public s’attendait : Wong Kar-wai brûlait le cinéma de sabres et en a filmé les cendres.

Les Cendres du temps (Ashes of time, 東邪西毒, Hong Kong, 1994) Un film de Wong Kar-wai avec Leslie Cheung, Tony Leung Ka-fai, Brigitte Lin, Tony Leung Chiu-wai, Maggie Cheung, Jacky Cheung, Carina Lau, Charlie Young, Bai Li.

jeudi 11 avril 2013

Sorties à Hong Kong (avril 2013) Conspirators

Conspirators (同謀, Hong Kong, 2013) 
Un film d’Oxide Pang avec Aaron Kwok, Nick Cheung, Jiang Yi-yan, Li Chen-hao, Chen Kuan-tai. 103 minutes. Classé Catégorie IIB. Sortie à Hong Kong : 11 avril 2013.

mercredi 10 avril 2013

Pieta


Il est loin le temps où j’attendais avec impatience chaque nouveau film de Kim Ki-duk. Elle est bien passée cette époque où chacun de ses films sortaient en salles en France et où ses admirateurs discutaient âprement de « son » Kim Ki-duk préféré. Aujourd’hui, le cinéaste coréen est relativement tombé dans l’oubli et son prestigieux Lion d’or au Festival de Venise 2012 est l’unique raison de la sortie de son film. Pieta, 18ème film de son auteur comme cela est indiqué dans le générique, est un film sur la solitude, sujet favori de Kim Ki-duk. Silencieux, Kang-do (Lee Jeong-jin) son personnage principal vit dans un appartement à la vieille tapisserie délavée, aux meubles rares et au milieu d’un quartier sans âme. On découvre cet homme de trente ans en train de se masturber dans son lit, histoire de montrer qu’il est également célibataire. D’un geste sec, il retire un couteau planté sur un dessin de femme nue accroché sur une cible de fléchettes. Il part au travail.

Son boulot est de récupérer l’argent prêté par son patron, un type un peu louche, à des ferrailleurs (il y a beaucoup de ferrailleurs dans l’univers du film). Le taux de remboursement est très élevé, les gens sont très pauvres et ils ne peuvent jamais rendre la somme. La solution est apportée par Kang-do lui-même : toucher l’assurance et faisant croire qu’ils ont eu un accident. Ainsi tous ces gentils ouvriers sont contraints par cet horrible usurier à se mutiler les membres sur leurs machines, à sauter d’un immeuble ou à se couper un doigt. On le suit dans sa tournée pour relever les compteurs avec chaque fois la même méthode. Travailleur après travailleur, le cinéaste appuie chaque fois la cruauté et l’absence de pitié de Kang-do avec quelques scènes de torture un peu vaine, la mutilation est filmée hors-champ. Kim Ki-duk oppose les « clients » avec notre « héros ». Lui, profite de leur labeur et eux, se tuent à la tâche. Lui est seul, sans vie et sans famille, eux ont une épouse, une mère et parfois un enfant.

Un jour, une femme le suit (Jo Min-sso). Aussi silencieuse que lui, elle s’introduit chez lui, se met à faire la vaisselle et prend un couteau comme si elle voulait le tuer. Il la vire et le lendemain, elle est assise devant sa porte. Elle affirme être sa mère, il demande des preuves. Elle chante une chansonnette. Il croit qu’elle est bien sa mère. Elle va lui acheter une anguille pour le repas. Il préfère la laisser dans son aquarium. Elle le suit dans une de ses missions. Elle en profite pour taper le mauvais payeur. Elle se couche dans son lit et le branle en silence. Elle tricote un pull en attendant son retour. Il finit par accepter cette maman qu’il n’a jamais connue, ayant été abandonné à la naissance. Elle l’avait supplié à genoux de la pardonner et maintenant ils vont faire du shopping main dans la main. Les sourires comment à revenir sur leur visage. Il découvre enfin, à trente ans, la vie de famille et commence à comprendre, conséquemment combien il a fait du mal à tous ses pauvres à qui il prend de l’argent. Et un jour, sa maman est enlevée, sans doute par un mécontent pense-t-il.

Kim Ki-duk ne lésine pas sur les moyens pour montrer toute la bassesse de son personnage principal puis sa tentative de rédemption. Ces moyens, ce sont d’abord des scènes de violence lourdement appuyées par ses effets de répétition. Kang-do arrive chez un pauvre, le pauvre crie, il arrive chez un autre, l’autre crie. Seulement voilà, l’acteur tire la gueule avec un tel académisme pour jouer la méchanceté qu’il devient caricatural. Ensuite, quelques scènes chocs viennent tenter de secouer le spectateur assoupi par des choses déjà vues ailleurs en bien mieux (inceste, suicide). Enfin, le film fait souvent rire. Involontairement. Pieta joue sur le réalisme (décors communs, évocation de la crise économique qui pousse les gens à s’endetter) mais les dialogues sonnent tous faux et sont à la fois explicatifs et volontairement suggestifs de la triste situation dans laquelle les personnages se trouvent. Dans sa volonté de créer un réalisme poétique de la douleur de l’âme, Kim Ki-duk en fait trop. Kang-do retourne voir tous ses pauvres dans la dernière partie pour chercher sa mère et l’accumulation des malheurs qu’il a causés le fait prendre conscience de sa mauvaise âme. Or, comme on le dit souvent, tout ce qui est excessif est insignifiant. C’est dans ces moments poussifs où le cinéaste veut provoquer l’émotion que le rire commence à poindre parce que, contrairement à Address unknown par exemple, son réalisme n’est jamais crédible.

Pieta (피에타, Corée, 2012) Un film de Kim Ki-duk avec Jo Min-soo, Lee Jeong-jin, Woo Gi-hong, Kang Eun-jin, Jo Jae-ryong, Lee Myeong-ja.