samedi 16 février 2013

Journal d’un voleur de Shinjuku


Tokyo, quartier de Shinjuku, été 1968, 17h30. Comme partout ailleurs dans le monde (des cartons indiquent dans d’autres villes quelle heure il est au même moment), l’agitation gronde au Japon. Sur la place principale de Shinjuku, une troupe de théâtre alternatif joue une pièce grotesque (un comédien et chanteur, Juro Kara dans son propre rôle est assailli par quatre hommes qui le déshabillent, quand un tatouage sur son bas ventre est visible, ils tremblent de peur) tandis que juste en face, des militants nationalistes, juchés sur un camion, haranguent la foule. Parmi les passants, un jeune homme (Tadanori Yokoo) en costume cravate observe sans rien dire. Ce sera le voleur de Shinjuku dont Nagisa Oshima filme la chronique quasi improvisée où plusieurs personnalités viennent s’immiscer dans le squelette de narration.

Que vole-t-il ? Des livres dans une librairie. Il se sert, puis quitte les lieux. Mais n’importe quels livres : tous traitent de la sexualité. Une jeune femme (Rie Yokoyama) lui ordonne de s’arrêter et d’aller dans le bureau du patron (Moichi Tanabe, lui aussi dans son propre rôle). Le libraire est très conciliant, il refuse d’appeler la police, donne au jeune homme quelques conseils littéraires, lui offre des bouquins. Le lendemain, il revient, vole à nouveau et direction encore une fois l’entretien avec Monsieur Tanabe. Il lui demande son nom, le jeune homme dit s’appeler Okanoue, puis dit avoir menti et déclare que son nom est Birdy Hilltop. La jeune femme est également là, mais le libraire ne le reconnait pas, elle se prétend vendeuse mais ne l’est pas. Elle s’appelle Umeko Suzuki. Ensemble, ils vont faire un bout de chemin et esquisser une romance.


Le récit du Journal d’un voleur de Shinjuku est très libre. Filmé en 16mm en noir et blanc avec quelques séquences en couleur, le film ne cherche pas à raccorder ses bribes d’histoire. Le fil conducteur est l’amourette entre Birdy et Umeko. Ils couchent ensemble, c’était le dépucelage de la jeune femme (la tache de sang sur le drap blanc est filmée en couleur), mais aucun d’eux n’a joui. Tout le film est dévolu à la recherche de cet orgasme, ultime étape de leur révolution personnelle dans cet été 1968. Ils vont rencontrer le sexologue Tetsu Takahashi qui clamera que Umeko est lesbienne, ils vont discuter avec les acteurs Kei Sato et Fumio Watanabe qui violeront la jeune femme et ils feront du théâtre avec la troupe de Juro Kara dans une variation moderne et grimée de kabuki. Après tous ces discours, ils atteindront la jouissance.

Nagisa Oshima fait preuve d’une grande inventivité dans ses images. Comme je l’ai déjà écrit, il ne s’embarrasse pas d’un scénario progressif. En plus d’alterner noir et blanc et couleur, il filme plusieurs séquences caméra à l’épaule dans un style documentaire (l’entretien avec le sexologue, une réunion d’anarchistes). Des intertitres viennent remplacer les dialogues. On y entend des auteurs (dont Jean Genet auquel le titre du film est directement emprunté à l’un de ses livres) tandis que défile des couvertures de livres (on pense beaucoup à Bande à part et à Une femme mariée de Jean-Luc Godard). Okanoue et Umeko se promènent la nuit, un godemiché dans la main. Les personnages discutent beaucoup, souvent pour rien dire, développant beaucoup de théories typiquement soixante-huitardes. Journal d’un voleur de Shinjuku se veut le portrait amusé, inventif et survolté de son époque. Nagisa Oshima ne juge pas d’autant qu’il a fait partie de ce mouvement de révolte. La dernière séquence, sans doute prise sur le vif, montre des émeutes dans Shinjuku.

Journal d’un voleur de Shinjuku (新宿泥棒日記, Japon, 1968) Un film de Nagisa Oshima avec Tadanori Yokoo, Rie Yokoyama, Juro Kara, Moichi Tanabe, Tetsu Takahashi, Rokko Toura, Kei Sato, Fumio Watanabe.

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