lundi 18 février 2013

Après notre séparation


Parmi les 89 films de Mikio Naruse, Après notre séparation est l'un de ses plus anciens longs métrages qui subsiste. Le film, muet, qui date de 1933 est un mélodrame flamboyant d’une vigueur et d’une modernité exceptionnelle. Le récit se déroule autour du personnage de Kikue (Mitsuko Yoshikawa), une geisha d’une quarantaine d’années qui commence à sentir l’épreuve de l’âge sur son corps, sa chevelure grisonne et, face à son miroir, elle demande à l’une de ses jeunes employées, la très belle Terukiku (Sumiko Mizukubo) de l’aider à lui arracher ces cheveux qui annonceraient sa vieillesse à ses clients. Kikue est une femme de bonne compagnie qui traite les geishas de son établissement avec beaucoup de respect et dans une ambiance familiale. Certes certains clients sont difficiles (le vieux qui aimerait séduire Terukiku) mais d’autres sont amusants, notamment ceux qui dansent sur de la musique occidentale sur le son d’un phonographe.

Kikue a un fils, Yoshio (Akio Isono), étudiant qui file un mauvais coton. Le jeune homme, casquette vissé sur la tête comme pour ne pas montrer ce qu’il pense, passe plus de temps avec un groupe de loubards qu’à aller à l’école. La mère le comprend quand un de ses collègues débarque chez elle pour prendre des nouvelles de Yoshio qu’il n’a pas vu depuis des jours. Il faut dire qu’il a honte de la profession de sa mère et qu’il n’hésite pas à se montrer dur avec elle. Qui plus est, il boit de l’alcool et réagit violemment quand Kikue cherche à discuter avec lui. Entre eux, c’est la rupture qui pointe. Les disputes sont admirablement mises en scène, des travellings abrupts sur les visages de la mère et du fils retranscrivent l’agressivité qui existe entre eux. Le rythme du film est constant. Sa brièveté (61 minutes) fait que les séquences s’enchaînent à grande vitesse dans un flot ininterrompu d’émotions, colère, amour, haine, suspicion et rire.

Mais Yoshio aime Terukiku, il cache des photos d’elle dans ses livres d’étude. La jeune fille s’en aperçoit et va faire en sorte d’infléchir le tempérament du jeune homme et le faire revenir dans le droit chemin, d’autant qu’elle n’est pas insensible au charme du fils de sa patronne. Loin d’être un film moralisateur, Après notre séparation se fait le portrait d’un Japon ancré dans des traditions ancestrales où le futur des personnages semble être inéluctable. Au contraire, le personnage de Terukiku va passer tout le film à infléchir les destins de chacun. A commencer par Yoshio, qui grâce à l’amour qu’il lui porte, va changer de caractère. Elle convainc d’arrêter de boire, de se remettre à étudier et la récompense suprême est ce sourire qu’il arbore quand elle lui apporte trois sushi délicatement préparés à son intention. Yoshio qui depuis le début du film ne faisait que la tête, recommence à vivre. La tendresse de la jeune femme est symbolisée par son sourire constant et est sublimée par la tabelle de chocolat Meiji qu’elle partage avec lui.

Puis, l’avenir de sa propre famille que Terukiku veut changer. Elle leur rend visite avec Yoshio. Les parents de la jeune femme habitent en province avec le petit frère et la sœur cadette qui a déjà un enfant. Ses parents la destinent, comme sa sœur ainée, à devenir geisha. Terukiku part les convaincre de ne pas le faire. On remarque que l’alcool, source des ennuis de Yoshio, tient dans cette famille une place importance. Le petit frère malicieux a été envoyé chercher une bouteille de saké pour son père. Dans une scène plutôt comique, il la casse en tombant et en est bien marri. Mais la sœur est là pour l’aider et lui donner quelques yens pour en acheter une nouvelle. Pour Yoshio, ce voyage est un choc qui lui fait comprendre qu’il doit définitivement changer et qu’il doit soutenir sa mère dans ses épreuves comme Terukiku soutient la sienne. Les deux amoureux pourront enfin se retrouver après leur séparation une fois tout redevenu dans l’ordre. C’est la promesse qu’ils se font avant le générique de fin, le spectateur conquis par la bienveillance du cinéaste à l’égard de ses personnages ne peut qu'espérer qu'elle se réalise.

Après notre séparation (君と別れて, Japon, 1933) Un film de Mikio Naruse avec Mitsuko Yoshikawa, Akio Isono, Sumiko Mizukubo, Reikichi Kawamura, Ryuko Fuji, Yoko Fujita, Tomio Aoki.

Aucun commentaire: