vendredi 17 août 2012

La Servante


D’abord une famille coréenne : M. Kim, le père (Kim Jin-kyu), professeur de piano dans l’usine ; son épouse (Ju Jeung-ryu) est enceinte pour la troisième fois. Elle est couturière à domicile pour compléter le salaire du mari. Elle devra bientôt s’arrêter de coudre pour accoucher. Enfin, les deux enfants. L’ainée, Ae-soon est handicapée et ne marche qu’avec des béquilles, le fils, Chang-soon, a quelques années de moins et passe son temps à se chamailler avec sa sœur, souvent de manière très cruelle. Une famille sans histoire qui loge dans une seule pièce en attendant un appartement plus vaste, plus confortable où ils ne seront pas les uns sur les autres. Voilà pour le cadre familial.

Kim plait aux femmes. Il ne fait rien pour. A l’usine, une ouvrière glisse dans le pian une lettre d’amour que le professeur s’empresse de donner au contremaitre. La jeune femme se fait renvoyer. Sa meilleure amie, également employée de l’usine, avait manigancé ce renvoi en l’encourageant à écrire cette missive. Cho (Um Aing-ran) est aussi amoureuse de Kim et va chez lui pour prendre quelques leçons privée de piano. Lors d’un cours au travail, il avait suggéré aux ouvrières de prendre des cours. Cho visite la nouvelle maison en travaux, fait connaissance avec la famille, constate que la mère a besoin d’une servante qu’elle va s’empresser de lui trouver. Pourtant le père aide beaucoup, il fait même mieux la cuisine que la mère selon les enfants.

Au bout de vingt minutes d’un récit qu’on pensait aller naviguer sur les eaux conventionnelles du drame adultérin, La Servante nous présente enfin cette servante (Lee Eun-shim), dont le nom ne sera jamais prononcé (en tout cas dans les sous-titres français). C’est dire qu’elle ne sera considérée comme une personne mais plutôt comme un meuble dans cet appartement désormais bien bourgeois. Dès le départ, on comprend qu’elle ne tourne pas rond. Elle ne dit pas grand-chose, se rend dans la cuisine, ouvre les placards, voit un rat dans l’un d’eux, l’attrape par la queue et le tue. Pour bien montrer l’inquiétude qu’elle va provoquer, elle mélange le riz avec de la mort aux rats. Sa mission première sera de décimer les rongeurs qu’elle prend plaisir à éradiquer si l’on en croit son visage satisfait proche de l’orgasme.

Les enfants la prennent en grippe et réciproquement. Dans un plan qui rappelle Soupçons d’Alfred Hitchcock, la servante monte les escaliers (les chambres sont situées à l’étage) avec un verre d’eau filmé en gros plan. La gamine pense que la servante a mis de la mort aux rats dans le verre. Elle en boit un peu avec un regard amusé mais de plus en plus menaçant. Et cette menace, elle va la mettre à exécution. Elle aussi tombe sous le charme de M. Kim et quand l’épouse part se reposer chez sa mère le dernier mois de sa grossesse, la servante séduit le mari qui succombe et la met enceinte. Il va devenir la possession de la servante qui observe les moindres faits et gestes de toute la famille, cachée derrière une porte, les yeux exorbités à la recherche de la moindre brèche lui permettant de s’incruster dans la vie familiale, filmée dans de rapides travellings claustrophobes. Mais personne ne veut d’elle.

La tension créée par la présence malsaine de la servante est accentuée par le son. Les journées à la maison sont rythmées par le bruit mécanique de la machine à coudre de la mère, son bientôt remplacés par les fausses notes de piano que martèle la servante qui sonnent comme le glas, comme un appel à l’époux pour qu’il monte s’occuper de cette maitresse qu’il rejette. Ce son devient pour la mère (toujours habillée en blanc) angoissant et pour le spectateur l’annonce d’un nouveau mauvais coup de la servante (toujours vêtue de noir). La Servante transcrit l’esprit moral et mesquin de l’époque. La raison pour laquelle les Kim ne renvoient pas leur servante est la peur du qu’en dira-t-on, de la rumeur et du jugement de la société. Le récit ne se développe qu’à cause de cette morale d’un autre âge (quoique) et qui autorise cet huis-clos étouffant à se terminer dans le drame le plus sordide. A moins que…

La Servante (하녀, Corée, 1960) Un film de Kim Ki-young avec Kim Jin-kyu, Ju Jeung-ryu, Lee Eun-shim, Um Aing-ran, Ahn Seong-gi, Go Seon-ae.

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