mardi 10 avril 2012

Song at midnight


La troupe du Théâtre du Jardin s’apprête à jouer dans une ville du sud de la Chine. Le lieu où les comédiens doivent jouer est lugubre : toiles d’araignées, mobilier vétuste et cassé, lumière terne. Toute la panoplie gothique est là pour indiquer que ce théâtre a été le lieu d’un drame et que depuis, rien n’a pas bougé, ni les souvenirs douloureux ni les traces de ce passé douloureux. La troupe est guidée par le domestique des lieux, un vieillard aux traits défaits, un homme fatigué à la fois inquiet de ce qui pourrait arriver et ravi que les lieux soient à nouveau investis.

Lors des répétitions, Xiao Ou, le comédien vedette a perdu sa voix et il est étonné d’entendre un homme chanter l’air qu’il doit interpréter. Le théâtre serait-il hanté ? Non, en vérité, c’est Song Dangping qui donne sa voix. Xiao Ou monte, anxieux, les escaliers et découvre un homme vêtu d’une longue cape noire dans le grenier. Terré là-haut, Song va raconter son passé au jeune homme en lui demandant de garder pour lui se secret. En échange, Song l’aidera en doublure voix afin que la troupe triomphe sur scène. Song at midnight, l’un des premiers films parlants chinois permet d’entendre quelques chansons. Le film date de 1937, une période où la Chine est en pleine guerre civile (les communistes contre les nationalistes).

Dans le flash-back qui occupe la deuxième partie du film et qui se déroule dix ans auparavant, on découvre que Song Dangping, fringuant jeune homme, est dans les camps du Kuomintang, les nationalistes. Il est très amoureux de Xia, la fille d’un notable local qui n’entend pas de cette oreille cette romance. Le père fait fouetter Song, le laisse inanimé et le jette hors de la ville. Décidé à conquérir sa bien aimée, il va écrire un opéra qu’il n’aura le temps de chanter qu’une fois avant que le prétendant de Xia, le fourbe Tang Jung, ne jette de l’acide sur le visage de Song Dangping. Bien entendu, Tang Jung n’est pas arrêté, son geste ne sera pas jugé mais sa cruauté et son impunité seront mis en avant dans la dernière partie du film quand il viendra menacer la fiancée de Xiao Ou.

Ses amis (dont le vieillard évoqué plus haut) tentent de soigner Song. Son visage et ses mains sont bandées. La scène où le bandage est finalement enlevé et où son nouveau visage est finalement révélé au spectateur donne l’une des meilleures scènes du film. Jusqu’à présent, il était recouvert d’une cape et le suspense dure toujours. En caméra subjective, le médecin déroule le bandage tandis que dehors l’orage gronde, des éclairs éclairant la pièce. Face à Song, les autres personnages découvrent horrifiés le visage. De dos, il se lève, titube jusqu’à un miroir où il peut enfin comprendre que ses traits ont disparu au profit de boursouflures dues aux brûlures de l’acide. Il brise le miroir dans un geste de colère, refuse de lire la lettre envoyée par Xia et décide de se faire passer pour mort.

Eminemment romantique, Song Dangping continue pourtant d’hanter la vie de Xia. A chaque pleine lune, il va chanter le morceau de son opéra. Incapable de refaire sa vie, Xia sombre dans une folie douce où elle n’attend que la nuit où elle pourra écouter son air favori. Song Dangping est devenu un « fantôme de l’opéra ». Mais passé quelques scènes fortes dont on sent l’influence expressionniste, il faut bien reconnaitre les balbutiements de la mise en scène de Ma-xu, le jeu extrêmement théâtral des acteurs, un jeu lent, appuyé à la fois dans les poses et dans la diction. Cette théâtralité est sans aucun doute à mettre sur le compte d’une technique encore balbutiante. Ceci étant, Ma-xu expérimente de nombreuses choses (travellings, fondus enchainés) et parvient à maintenir le suspense autour de ses personnages, notamment celui de Tang Jung qui menace Liu Die, la fiancée de Xiao Ou, comme il terrorisait Xia dix ans auparavant. En revanche, il faut bien le préciser, le visage de Song ne fait jamais peur.

Song at midnight (夜半歌聲, Chine, 1937) Un film de Weibang Ma-xu avec Woo Ping, Gam Saan, Chow Man-chu, Gu Meng-he, Shi Chao, Hui Maan-lai, Wong Wai-yat, Chen Yun, Xiao Ying, Li Chun-pan, Liu Shang-wen, Chen Bao-qi, Wang Ying-ying, Zong You, Liang Xin, Cai Jue-fei.

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