mardi 29 juin 2010

Un couple parfait


Marie (Valéria Bruni Tedeschi) et Nicolas (Bruno Todeschini) vont à Paris pour assister au mariage de deux de leurs amis. Ils ne veulent plus vivre ensemble après quinze ans. Lors d'une conversation badine au restaurant, Nicolas lâche le morceau. Choc des amis. Colère rentrée. Comment un aussi beau couple peut-il se défaire aujourd'hui ? Aucune explication ne sera donnée. Mais, difficile de ne pas penser au Mépris de Godard dans une scène de chambre où Marie critique vertement Nicolas " Tu es superficiel. Tu es bourgeois. Tu es mondain. " Lui répond : " Je veux bien que tu me traites de con, mais de mondain, jamais. " Cette séquence, longue, comme si elle n'en finissait pas de durer est terrible. Marie ricane, pleure en même temps. Elle regarde fixement l'objectif, filmée de loin, de l'autre côté de la chambre d'hôtel. Ce regard est purement insupportable, terrifiant et la scène de reproches à son époux est entrecoupée de silences cruels. Mais là où Nobuhiro Suwa est très fort, c'est que si le spectateur a le champ, il refuse de donner le contrechamp visuel. Nicolas n'a pas droit à l'image et son procès prend plus de poids : ses torts sont pour le coup mis en évidence. Il répond de temps en temps, mais à aucun moment, on ne peut voir ses réactions.


Nobuhiro Suwa enferme, dans Un couple parfait, ses personnages dans des pièces ou des lieus du quotidien mais qui ne sont pas leur cadre de vie. Taxi au début du film lors d'un long travelling de quatre minutes. Restaurant banal. Chambre d'hôtel anonyme où ils font lits séparés. Le personnel installe pour Nicolas un lit de camp tandis que Marie dormira dans le grand lit. Le mariage auquel ils sont conviés paraît, lui aussi, sans passion. On y parle fort, on ne raconte pas grand-chose de passionnant. En substance, on s'y emmerde royalement, comme souvent aux mariages. Mais le plus étonnant dans la mise en scène du cinéaste est la position, inconfortable, de voyeur qu'il donne au spectateur. Il place sa caméra loin de ses personnages, comme le spectateur était suffisamment prêt du couple et des amis, mais trop loin pour ne saisir autre chose que des bribes des conversations. Comme si nous étions des clients du restaurant. Dans les premières vingt minutes du film, il est difficile de saisir ce que disent Nicolas, Marie et les autres. Il faut tendre l'oreille, espionner une phrase signifiante. Suwa nous invite, ou plutôt nous force, à pénétrer dans son film. C'est une rencontre par effraction, presque un viol de l'intimité que Suwa nous oblige à faire. C'est extrêmement dérangeant pour notre position de spectateurs assis dans la salle de cinéma. C'est d'autant plus jouissif que cela arrive de plus en plus rarement. Mais cette jouissance du spectateur est à la limite de la perversion.


Mais pourquoi Nobuhiro Suwa a-t-il ressenti le besoin de tourner son film en France ? Il dit ne pas parler le français. Il s'est entouré d'acteurs venus du cinéma français apparu dans les années 1990, Desplechin, Ferreira Barbosa, héritiers de Chéreau, acteurs habitués à improviser sans doute puisque c'est qu'ils ont fait. Le générique final crédite Suwa à la conception et la réalisation. De scénario point. On se demande ce qu'il y a de japonais dans Un couple parfait. Et finalement, peu importe. Oshima avait bien tourné Max mon amour en France avec une actrice anglaise. Et Jean-Pierre Limosin avait réalisé Tokyo eyes au Japon. Quant à Caroline Champetier, directrice de la photographie, elle est créditée comme directrice artistique. C'est donc une œuvre collective qui se présente au public. Un film tout à fait inhabituel dans le monde du cinéma, qu'il soit français ou japonais. C'est de l'expérimental. Et puis voilà !


Un couple parfait (France – Japon, 2005) Un film de Nobuhito Suwa avec Valeria Bruni Tedeschi, Bruno Todeschini, Nathalie Boutefeu, Louis-Do de Lencquesaing, Joana Preiss, Jacques Doillon, Léa Wiazemsky, Marc Citti, Delphine Chuillot, Gérard-Henri Durand, Alex Descas, Emmett Descas, Marie-Sophie Wilson, Muge Pecker.

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