vendredi 19 juin 2009

Les Chinois à Paris


Il est rare de voir un film si unanimement condamné par la critique de l’époque. Tout le monde lui est tombé et cela n’a pas du déplaire à Jean Yanne. Il faut rappeler le contexte dans lequel Les Chinois à Paris est sorti en France. Tout d’abord, La Chine de Michelangelo Antonioni était sorti en salles quelques semaines auparavant défendu avec complaisance par une bonne partie de la critique. Critique qui voyait avec aveuglement et bienveillance la révolution culturelle (« rêve au cul » comme dira plus tard Serge Daney). La presse critique de l’époque c’était bien entendu Positif, de gauche classique sociale démocrate pour parler actuel défendant les films progressistes. C’est aussi une galaxie de revues aujourd’hui disparue Ecran, La Revue du Cinéma, Cinéma 74, Cinéma 9, de gauche plus radicale, plus militante flirtant parfois avec les communistes voire la pensée Mao Tse-toung. Et puis c’est bien sûr les Cahiers du cinéma qui se plongèrent dans l’idéologie maoïste avec délectation jusqu’à faillir disparaitre. Les Cahiers n’ont jamais parlé du film de Jean Yanne, ça devait leur passer au dessus.


En revanche, les autres publications s’en sont donné à cœur joie pour démolir le film. On ne songerait guère à lire cela aujourd’hui dans n’importe quel magazine ou revue de cinéma. Encore une précision : Les Chinois à Paris a été produit, entre autres, par Marcel Dassault, marchand d’armes, membre de l’UDR – l’ancêtre de l’UMP – député maire de Corbeil et homme ultra réactionnaire. Dassault avait déjà produit d’autres films médiocres (la série minable de La Septième compagnie) proposant un humour gras et facile. L’effet que Dassault produise Jean Yanne (dont aucun film n’a jamais été bien aimé de la critique) fait l’effet de repoussoir. La critique part avec des a priori négatifs. Les mêmes que ceux qui entourent une production Jerry Bruckheimer d’un film de Michael Bay. Les Chinois à Paris ne peut être que nul.


Dans Cinéma 74 N°186/avril 1974, Raymond Lefèvre écrit que Jean Yanne est « un chansonnier du poujadisme (un politicien démagogue proche de l’extrême droite, NDR) qui se met au niveau d’un public qu’il juge le plus bête possible ». L’auteur parle de « l’inélégance raciste du postulat » et affirme sans ménagement que « le film aurait été aimé par Goebbels ». Dans Ecran N°24/avril 1974, Guy Hennebelle dénonce un « odieux parallèle que Jean Yanne établit entre l’Allemagne nazie et la Chine populaire » et juge déplorable que Dassault finance ce film. Il trouverait délirant que la magazine d’extrême droite Minute finance un film sur les immigrés et conclue son texte en affirmant qu’il « ne saurait être question de laisser se répandre librement le virus du racisme et du fascisme dans notre pays ». Bref, Les Chinois à Paris fit l’unanimité contre lui.


Je n’ai pas encore évoqué de quoi parle le film et le plus étonnant dans les critiques de l’époque, c’est qu’une fois les jugements à l’emporte pièces donnés, on ne connait rien de l’histoire et de ce que voulait dire Jean Yanne. Tout commence dans un studio de télé. Le président de la république (Bernard Blier) s’apprête à annoncer aux Français que les troupes chinoises ont envahi la nation et que les Français « doivent faire preuve d’abnégation ». Les gens veulent fuir (imitation de la débâcle) mais tout le monde s’entretue tandis que les voitures militaires des Chinois font leur apparition. Le général Pou-yen (Kyozo Nagatsuka) rencontre les forces vives de la Nation représentées dans le film par un journaliste, un général et un évêque qui décide de collaborer activement pour conserver leurs prérogatives. Pou-yen cherche un QG et va s’établir aux Galaries Lafayette.


Le film nous présente quelques personnages principaux. Jean Yanne est un commerçant opportuniste qui navigue sur les modes du moment. Son sex shop va se transformer en restaurant chinois car il y a du fric à se faire dit-il. Nicole Calfan est une petite secrétaire qui entretient une liaison avec son employeur Michel Serrault. Ce dernier va décliner des slogans de l’idéologie maoïste pour conserver son poste ce qui mène à l’absurde. Daniel Prévost et Macha Méril jouent un couple de pique assiette qui bouffe à tous les râteliers tout en dénonçant l’occupation chinoise mais jamais ils n’agiront pour faire la résistance tant ils tiennent à leur position bourgeoise. Paul Préboist est un ancien curé reconverti en garde rouge qui travaille dans un bureau des dénonciations. Enfin Jacques François joue un industriel qui se voit confier le poste de gouverneur général par les forces d’occupation chinoise.


Tout se beau monde composé de lâches, de flatteurs et d’opportunistes montrent une France prompte à profiter d’une situation. Or Jean Yanne ne compare pas les Chinois aux nazis car dans le film les Chinois agissent sans violence mais avec calme. Certes, ils dirigent la France de manière absurde : interdiction de forniquer, obligation d’abandonner les voitures « dangereuses, polluantes et impérialistes » et décident que les Français parce qu’ils sont « fumistes » devront consacrer leur industrie aux tuyaux de poêle. En revanche il compare les bourgeois, ceux qui ont déjà du pouvoir, aux collabos. Il affirme que quelle que soit la situation ces gens-là continueront à défendre leur terrain de pouvoir malgré les contradictions et l’absence de conviction idéologique.


Les Chinois n’existent pas dans le film. En tout cas, il n’y a pas de personnage hormis Pou-yen. Les Chinois tous soldats ou gardes rouges ne sont qu’une masse disciplinée et anonyme. L’opposé même des Français. Les soldats apprennent instinctivement à sortir le petit livre rouge. Les Chinois sont nombreux et pour l’effort de collectivisation ils doivent tous travailler ce qui donne des scènes absurdes de files de Chinois qui se passent les uns aux autres le moindre dossier. In fine, ce que Jean Yanne essaie d’exprimer c’est une critique des maoïstes français (à l’époque il y avait pas mal de monde qui s’en réclamait dont Jean-Luc Godard avec ses films abscons et prétentieux) et de fustiger l’aberration de la pensée Mao Tse-toung, avec un certain succès, je dois dire.


Les exemples les plus frappants qui montrent que le film n’est pas raciste mais critique envers le maoïsme est cette fête de la joie sur le Trocadéro où Chinois et Français sont censés célébrer leur amitié éternelle ou le ballet opéra Carmeng, soit Carmen de Bizet qui aurait rencontré l’ignoble film de propagande Le Détachement féminin rouge. Les Chinois à Paris est bourré de défauts, de mauvais jeux de mots, de facilités, d’interprétations approximatives et de plans mal fouttus. Mais son scénario est plutôt bien écrit montrant le processus d’occupation et de collaboration. En 1974, il était encore difficile de montrer cela. La guerre était encore dans toutes les mémoires et la recréation du schéma français était perçue comme une attaque contre les résistants. Il était aussi difficile de s’attaquer à Mao à une époque où le cinéma militant marxiste-léniniste avait très bonne presse et où l’aveuglement face à la Révolution culturelle était aussi important que celui décrit dans le film. Il est toujours difficile d’avoir un miroir qui renvoie une image antipathique et la critique de gauche de l’époque ne l’a pas supporté.


Les Chinois à Paris (France – Italie, 1974) Un film de Jean Yanne avec Jean Yanne, Nicole Calfan, Macha Méril, Michel Serrault, Kyozo Nagatsuka, Georges Wilson, Jacques François, Fernand Ledoux, Paul Préboist, Daniel Prévost, Bernard Blier.

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