samedi 19 juillet 2008

Le Chateau de l'araignée


Akira Kurosawa, admirateur de littérature européenne, a élaboré Le Château de l'araignée d'après le Macbeth de Shakespeare. Grandeur et décadence d'un seigneur de guerre dans le Japon du XVème siècle. Après Dostoïevski pour L'Idiot et avant Maksim Gorki pour Les Bas-fonds, Akira Kurosawa a choisi en 1957 d'adapter Shakespeare pour la trame de son nouveau film. Le Château de l'araignée a été présenté en 1957 à la 18ème Mostra de Venise devant une presse française incapable de comprendre le film. La critique française avait souvent qualifié Kurosawa de typiquement japonais, avait jugé ses interprètes trop grimaçants. Résultat aucun film de Kurosawa n'était sorti en France après Les Sept samouraïs, tandis qu'il réalisait un film par an. Et pas des moindres. D'ailleurs Le Château de l'araignée n'est sorti en France qu'en 1966. Il fût éreinté par ses habituels détracteurs, les Cahiers du Cinéma, qui à l'époque préférait défendre Mizoguchi. Jusqu'à ce qu'ils comprennent enfin la mise en scène du cinéaste. Cela pour dire que cette réédition en DVD des films de Kurosawa, aujourd'hui évidente, décrit à quel point le cinéma japonais a pu être par le passé totalement incompris en France, alors qu'il était déjà un modèle pour bon nombre de cinéastes américains.

L'idée de Kurosawa pour Le Château de l'araignée est de prendre l'histoire du Macbeth de Shakespeare stricto sensu mais d'utiliser le théâtre Nô pour la raconter : décors, maquillages, musique, danse. Ce mélange fonctionne sans que l'on soit ni un spécialiste du Nô, ni un exégète de Shakespeare. Parce que Kurosawa utilise pour raconter le destin du général Washizu des moyens de pure mise en scène qui établissent des rapports entre les personnages, qui structurent leurs places dans la société et affirment leurs parcours scénaristiques.

Le Château de l'araignée a une structure en flash-back. Une chanson commence le film où il est entendu que " jadis un château noble et majestueux s'érigeait ici ". La brume couvre le paysage (le film a été tourné au pied du Mont Fuji, région la plus brumeuse du Japon) et seules les fondations dudit château subsistent. Cependant, au fur et à mesure que la chanson décrit in extenso le scénario du film, la caméra s'approche d'un tombeau, celui de Washizu. Ainsi, mine de rien Kurosawa, vient de nous expliquer en deux minutes que son personnage principal va affronter un destin tragique et funeste et que son épouse sera la cause de sa perte. Reste alors à Kurosawa de nous décrire le cheminement de ce destin, de montrer les rouages de la perte de Washizu.

Washizu et Miki, un autre général, sont en guerre pour rétablir l'ordre dans ce Japon moyenâgeux. Guerre entre clans comme on peut en voir dans des dizaines de films japonais. Des messagers font des rapports sur les forts tombés ou sur ceux qui résistent. Washizu et Miki sont rappelés au château du seigneur pour des raisons de stratégie. Ils se perdent, sous la pluie (une des constantes de Kurosawa), dans une forêt et rencontrent un esprit malin, une vieille femme, une onibaba qui tourne son rouet et qui leur prédit leur destin. Washizu deviendra seigneur à la place du seigneur, mais son règne sera de courte durée. Miki commandera le fort N°1 et n'atteindra pas la gloire mais son fils deviendra l'héritier de Washizu. La sorcière disparaît et là où elle se trouvait, les deux hommes découvrent un charnier.

Arrivés au château du seigneur, comme l'avait prédit la sorcière, ils se voient attribuer les postes qui leur permettront d'accomplir leur destin. Mais Asaji l'épouse de Washizu va tenter, avec force manigance, de contrer la prophétie. Elle réclame le pouvoir pour elle et son général de mari, avec comme première étape de lui donner un héritier. Dès lors, la folie va s'emparer de ce couple tiraillé entre son ambition et la prophétie de l'esprit malin.

Akira Kurosawa tire des décors nus et aux angles très stricts des scènes très fortes pour décrire l'évolution de ce couple. Asaji complote contre le seigneur et son mari l'écoute avant de suivre ses conseils. Assise au milieu de la pièce, elle est constamment impavide face aux gesticulations de Washizu qui ne cesse de se lever, de tourner autour d'elle, d'éructer, de froncer les sourcils. Asaji devient le moteur du récit du Château de l'araignée, celle qui lance la narration, la refait démarrer après chaque coup du sort qui, petit à petit, annonce la chute irrémédiable de Washizu. Le couple défendra sa cause et rien d'autre. Ils trahiront, fomenteront des complots, qui seront voués à l'échec, comme le disait la chanson du début du film. La fatalité les rattrape.

Le final Le Château de l'araignée plonge le spectateur dans la folie pure de Washizu avec cette forêt qui avance. Kurosawa a réussi à nous faire entrer dans le cerveau d'un dément qui interprète chaque objet dans son champ de vision de manière fallacieuse. La forêt marche, se déplace, va l'engloutir, on le voit bien. Cela est aussi le fruit de notre imagination. Kurosawa arrive à ce que l'on éprouve de la compassion pour un personnage aussi sauvage, aussi violent, aussi antipathique. Notre égarement vient des oppositions auxquelles Kurosawa s'adonne : la géométrie des châteaux face au labyrinthe de la forêt, les paysages de brouillard face au pièces boisées des châteaux, la solitude de Washizu face aux centaines de soldats qui le transpercent de flèches. L'animalité face à l'humanité.

Une description de l'ambivalence de l'homme, en quelque sorte. Ambivalence à laquelle Toshiro Mifune apporte toute sa folie, sa rage, sa grandeur. Il faut le voir engoncé dans sa carapace de général qui le fait ressembler, lui comme les autres soldats, à des insectes, des cloportes plus précisément. Mifune est génial, comme souvent chez Kurosawa. Une autre raison d'apprécier ce film.

Le Château de l’araignée (蜘蛛巣城, Japon, 1957) Un film d’Akira Kurosawa avec Toshiro Mifune, Minoru Chiaki, Isuzu Yamada, Takashi Shimura, Isao Kimura.

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