mardi 26 février 2008

Mad detective


Mad detective marque deux retours. Tout d’abord celui de Wai Ka-fai au sein de la fameuse Milky Way, la compagnie fondée par Johnnie To il y a dix ans. C’est le onzième film que Johnnie To et Wai Ka-fai tournent ensemble. Leur collaboration artistique a commencé en 2000 avec Needing you et s’est terminée en 2003 avec Running on Karma. Depuis, To a tourné ses polars si célébrés en France et Wai Ka-fai trois comédies du Nouvel An Lunaire, les excellents Fantasia (2004) et The Shopaholics (2006) et le médiocre Himalayah Singh entre les deux.

Retour également dans l’équipe Milky Way de Lau Ching-wan, le meilleur acteur actuel à Hong Kong (qui d’autre ?). Lau Ching-wan avait joué dans les trois films en solo de Wai Ka-fai, pour le pire et bien entendu les meilleurs. L’acteur avait fait la gloire de la compagnie de Johnnie To, il en était l’emblème et s’était engagé sur d’autres projets après My left eye sees ghosts. Il porte Mad detective de manière incroyable.

Lau Ching-wan est cet inspecteur fou, il s’appelle Chan Gwei-bun. Ses méthodes sont particulières et consistent à reconstituer lui-même les scènes de crime. Pour le crime d’une petite fille retrouvée dans une valise, il se met dans une valise et se fait balancer du haut d’un escalier. Mais l’inspecteur Bun se fera virer après s’être coupé une oreille pour l’offrir à un de ses supérieurs. Bun s’habille mal, pantalon trop court, il oublie de mettre des chaussettes, il est coiffé en pétard. Lau Ching-wan, avec son visage poupin, offre un personnage à la fois puéril et sévère. Il a maigri pour se rôle et les cernes assaillent son regard.

Dix-huit mois après son renvoi, Bun est contacté par un jeune inspecteur de la Crime. Ho Kar-on (Andy On, doublé par la voix du cinéaste Soi Cheang, étrangeté sonore) est sur une enquête irrésoluble. Un flic a disparu depuis des mois. Il ne trouve pas d’indices. Ce flic et son collègue Ko Chi-wai (Lam Ka-tung) étaient à la poursuite d’un gangster. Malgré l’avis de sa femme, Bun accepte d’aider le jeune flic qui avoue que l’inspecteur est son idole. Bun va reprendre ses vieilles méthodes ésotériques.

C’est alors que Mad detective se lance dans la folie la plus pure, comme contaminé par celle de son personnage principal. Ce sera le point de vue de l’inspecteur Bun qui primera. L’homme a un pouvoir, il voit les esprits (ou les démons) des gens. Il a des visions. Au début, on ne comprend pas tout. Bun et Ho suivent Ko Chi-wai tandis qu’il va au restaurant. Mais dans le restaurant on voit Lam Suet commander, puis Eddy Cheung manger et finalement Flora Chan. Puis, c’est Lam Ka-tung qui apparaît. En tout, il y aura sept acteurs pour incarner les esprits de Ko Chi-wai. Sept n’est pas un chiffre porte bonheur dans le bouddhisme, bien au contraire.

Ce tour de force ésotérique, déjà très présent dans Running on Karma, se déploie de manière comique quand Lam Ka-tung conduit sa voiture et que Lau Ching-wan voit le véhicule rempli de passagers. Cela met aussi de la poésie dans la scène finale où les miroirs évoquent le final de La Dame de Shanghai d’Orson Welles. La plupart du temps, cela apporte une angoisse sourde puisqu’on ne sait pas si l’inspecteur Bun est tout simplement fou ou s’il a raison.

Wai Ka-fai n’est pas étranger au démembrement du scénario de Mad detective, c’est un habitué du genre. Il faut porter une grande attention au récit au risque de s’y perdre. A grands coups d’ellipse, les personnages se retrouvent dans un décor, puis dans un autre où l’inspecteur Bun reconstitue les scènes de crime. Un va et vient narratif complexe se met en place. On est loin de la linéarité des derniers films en solo de Johnnie To, qui ne semble présent ici que pour les scènes remarquables de gunfight, ou lors d’une scène de moto, l’un des passions du cinéaste (plusieurs personnages de ses films précédents roulent en moto).

L’idée générale du film est d’avancer masqué. Comme dans Fulltime killer, les gangsters portent des masques de carnaval, mais pas de présidents américains. Mad detective est une réflexion sur les acteurs et sur leur pouvoir d’incarnation, comme sur la mise en scène. La seule chose que fait l’inspecteur Bun, c’est se mettre à la place des autres et mettre en scène ces personnages qu’il pourrait avoir inventés. On est très loin des séries américaines sur les profileurs car ici seule importe l’absence de scientificité. On est dans un film fantastique où la folie est reine. A ce titre, la musique de Xavier Jamaux ajoute à la bizarrerie, tout autant que l’aspect sonore où des bruits peuvent disparaître sans crier gare au sein du même scène selon que les esprits apparaissent ou non.

Le film étonne à de nombreux moments. On ne saura jamais quel sera le plan suivant, quelle sera la prochaine scène, sans que cela ne tombe dans l’exercice de style. Plus que dans un film de M. Night Shyamalan, parce qu’ici il n’y a pas de pensée réactionnaire, on a envie de revoir Mad detective pour repérer ce qui permet de comprendre le cheminement du personnage de Lau Ching-wan, qui est, je le rappelle, le meilleur acteur actuel de Hong Kong. Mad detective est loin d'être un film mineur.

Mad detective (神探, Hong Kong, 2007) Un film de Johnnie To et Wai Ka-fai avec Lau Ching-wan, Andy On, Lam Ka-tung, Kelly Lin, Lee Kwok-lun, Karen Lee, Flora Chan, Cheung Siu-fai, Lam Suet, Lau Kam-ling, Eddy Ko, Jo Koo, Yuen Ling-to, Jonathan Lee, Ronald Yan.

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