jeudi 9 août 2007

Une jeunesse chinoise


Lou Ye est un peu connu en France pour deux de ses films : Suzhou river et Purple butterfly. Son dernier film, Une jeunesse chinoise était en compétition officielle au festival de Cannes 2006. Quelques semaines avant Cannes, la Chine a refusé que le film soit présenté sous le prétexte qu'il n'était pas achevé. Une jeunesse chinoise est une co-production avec la France et fût donc en compétition en tant que film français. Depuis Lou Ye est interdit de travail pendant cinq ans en Chine.


Une jeunesse chinoise suit la vie de Yu Hong (Hao Lei) et de Zhou Wei (Guo Xiaodong). Comment ils se rencontrent, comment ils s'aimeront, comment ils se sépareront et comment ils ne cesseront de penser l'un à l'autre. Le film est en ce sens la chronique classique des amours de deux jeunes gens comme tous les autres. On y retrouve quelques touches romantiques banales sur l'attirance répulsion que décrit bien l'échange suivant : elle " Je veux te quitter ", lui " Pourquoi ? ", elle " Parce que je ne peux pas me passer de toi. " Très Nouvelle Vague française. Lou Ye filme des scènes de cul de manière directe. Deux corps nus qui font l'amour. Cela reste assez pudique et en aucun cas racoleur, même lorsqu'il ose un léger recadrage pour montrer les sexes de ses deux personnages.


Mais Une jeunesse chinoise a surtout beaucoup fait parler de lui parce qu'il évoque les événements de Tian An Men. Les autorités chinoises auraient interdit le film en Chine à cause de cela. En vérité, en ce qui concerne Tian An Men, le cinéaste dit peu de choses et sûrement rien de revendicatif. La première heure du film se déroule pour l'essentiel dans l'Université de Pékin. Et effectivement, nos personnages sont allés aux manifestations. Lou Ye a reconstitué quelques scènes de manif qu'il a mélangées à des scènes d'archive. On voit également trois policiers tirer au fusil en l'air pour disperser les étudiants. Tian An Men est un prétexte pour séparer Yu Hong et Zhou Wei ainsi que leurs amis. Elle va rester en Chine et lui s'exiler à Berlin. Chacun refera sa vie jusqu'à leurs retrouvailles filmées avec une absence de lyrisme remarquable. Remarquable parce que le cinéaste parvient avec bonheur à ne pas tomber dans une débauche de bons sentiments qui auraient nui à tout ce que l'on avait vu dans les deux premières heures.


Ce qui a pu irrité le Bureau du Film Chinois est beaucoup plus profond et est particulièrement séduisant pour moi. Lou Ye dans Une jeunesse chinoise filme tout simplement une mélancolie comme même Wong Kar-wai n'est plus capable d'en faire. L'histoire d'amour est un prétexte pour montrer les conditions de vie des étudiants. La promiscuité dans l'Université par exemple est très bien rendue. Le film évoque crûment le suicide, l'avortement, l'alcoolisme, la jalousie, l'absence de liberté sans avoir l'air d'y toucher. Mais si, cela fonctionne car Lou Ye a la bonne idée de passer de superbes moments d'euphorie (dans les cafétérias où l'on danse) aux scènes tristes (la scène où Yu Hong angoisse d'être pauvre). C'est cela qui touche au plus profond : le désespoir généralisé d'une certaine jeunesse chinoise de la fin du 20ème siècle.


Une jeunesse chinoise est loin d'être un film carte postale. D'autant que Lou Ye sait y faire. Pas d'abus de caméra à l'épaule (la dernier écueil du cinéma indépendant chinois) mais au contraire un beau sens du cadre. Et aussi une narration qui n'hésite pas à utiliser l'ellipse (1988 raconté sur une seule chanson) ou à parler plus en profondeur de choses a priori insignifiantes. C'est très rythmé et les 2 heures 20 minutes d'Une jeunesse chinoise laissent le spectateur dans un sentiment de spleen, comme dirait le poète, qui secoue et émeut.


Une jeunesse chinoise (Summer palace, 頤和園, Chine – France, 2006) Un film de Lou Ye avec Bai Xueyun, Cui Lin, Duan Long, Guo Xiaodong, Hao Lei, Hu Ling, Le Chi, Zeng Meihuizi, Zhang Xianmin.

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