lundi 22 octobre 2007

Nouvelle cuisine


Décidément, la cuisine inspire toujours autant les cinéastes chinois. Après Be with me où un veuf préparait pour Madame Teresa Chan, après La Saveur de la pastèque où les nouilles étaient un préliminaire à la copulation, voici cette semaine Nouvelle cuisine. Ce nouveau long métrage de Fruit Chan avait pu être visible en 2005 dans une version courte dans 3 extrêmes.

Madame Li est une ancienne actrice de série télévisée. Aujourd'hui, son mari la trompe avec une jeunesse qui a la moitié de son âge. Elle décide d'aller voir Tante Mei, vieille chinoise de 64 ans qui conserve sa beauté juvénile grâce à ses raviolis (les dumplings du titre anglais) dont elle a le secret. Tante Mei est interprétée par Bai Ling, actrice tout juste trentenaire. Belle idée buñuelienne surréaliste et carrément burlesque. Tante Mei n'arrête pas de bouger dans son pantalon moulant. Elle parle à tire larigot (en mandarin). Tout le contraire de Madame Li, réservée, dubitative et qui retrouver son rôle de femme et d'épouse comblée sexuellement. Le seul rôle, qu'actrice déchue, elle peut désormais jouer. Pour cela, Tante Mei lui annonce la couleur : ses raviolis à la vapeur sont issus d'une recette typiquement chinoise.

Fruit Chan n'y va pas avec le dos de la cuiller. On comprend petit à petit quel est cet ingrédient secret. Mei va faire une visite en Chine continentale pour se fournir illégalement. On savait Fruit Chan, comme dans Made in Hong Kong, capable de cruauté envers ses personnages, mais ici, il développe toute une panoplie de l'horreur feutrée pour mener à bien son récit. Madame Li a bien du mal à avaler ses raviolis. Et nous, spectateurs qui en avons vu bien d'autres dans l'abjection, avons bien du mal à ne pas retenir notre dégoût. Et c'est là tout le talent de Fruit Chan d'arriver par des moyens purement cinématographiques à provoquer cette émotion si forte.

Car montrer l'ingrédient nécessaire à la confection des raviolis est une chose (et Chan ne se gêne pas pour nous le montrer), mais que l'on y croit est une autre paire de manches. Plus Madame Li prend goût à la dégustation, jusqu'à ce qu'elle devienne complètement accro, plus le réalisme de la consommation s'accroît en nous. Alors que la raison voudrait que cela cesse, et pour nous spectateurs, et pour Madame Li, on en redemande, on veut croire que c'est possible. On sait pertinemment que ce qu'elle mange pendant le tournage de la séquence est un vrai ravioli, mais Fruit Chan nous convainc par la suggestion que ce ravioli est bien fabriqué à partir de ce que l'on sait.

Eric Khoo dans Be with me mettait au centre de son film une aveugle sourde muette qui réussissait à s'exprimer à nous par la magie du cinéma. Fruit Chan dans Nouvelle cuisine met au centre de son film deux sens difficiles à rendre : le goût et l'odeur. Mais cela fonctionne grâce à un montage image-son des plus audacieux. Il montre, sans image choc, ce que Tante Mei confectionne dans sa cuisine avec la plus grande qualification, mais aussi la plus grande désinvolture. Or, ce talent culinaire va à l'encontre des vertus communément partagées. Le discours rassurant de la cuisinière est sans cesse contredit par la bande sonore composée de bruits sourds et inquiétants, renvoyant aux films horrifiques – bruits de porte, par exemple – qui témoignent de l'incongruité de la situation.

Madame Li va-t-elle reconquérir son époux (excellent Leung Ka-fai, tout en vulgarité) à cause des raviolis ? Ou est-ce que le fait de manger ces raviolis lui donne une plus grande confiance pour le reconquérir ? Quand elle apprend que la maîtresse de son mari attend un enfant, elle n'hésite pas une seconde : elle décide elle aussi de se lancer dans la confection de raviolis. Implacable conclusion d'un film délicieusement atroce.

Nouvelle cuisine (餃子三更2之一, Dumplings, Hong Kong, 2004) Un film de Fruit Chan avec Miriam Yeung, Bai Ling, Tony Leung Ka-fai

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